Depuis notre arrivée en Croatie, les vieilles villes aux ruelles étroites et aux pavés qui glissent, c'est un peu notre quotidien – mais la vieille ville bâtie sur les restes du palais d'un empereur romain mort depuis 1700 ans, c'est du jamais vu, ici ou ailleurs ! Car c'est bien là tout l'intérêt de Split : le centre-ville est littéralement construit dans ce qui fut autrefois le palais de l'empereur Dioclétien, où il se retira et mourut après pris sa retraite d'empereur (les empereurs qui abdiquent, c'est à peu près aussi rare que les papes qui démissionnent, mais il y en a eu, la preuve). Trois siècles plus tard, les habitants de la ville d'à côté, mise à feu et à sang par des gens qui n'ont même pas la décence de parler latin, viennent s'installer chez Dioclétien, qui n'est de toute façon plus là pour se plaindre et faire évacuer les squatteurs. Le palais faisant quand même plus de 38 000 m², les matériaux de construction de manquent pas, et les nouveaux résidents utilisent donc ce qui leur tombe sous la main pour bâtir leurs maisons. Et c'est ainsi que, les siècles passant, on se retrouve avec un mausolée impérial transformé en cathédrale, des colonnes corinthiennes en plein milieu de la terrasse d'un café et un sphinx de 3 500 ans qui regarde les touristes prendre des selfies.
Soyons honnêtes, se tenir au milieu du péristyle et regarder les différentes époques architecturales se mélanger sans la moindre transition fait des nœuds au cerveau. Même à Rome, qui se défend plutôt bien dans la catégorie "on a fait du neuf avec du vieux", l'Antiquité, la Renaissance et la période moderne sont clairement délimitées, et on ne passe jamais de l'une à l'autre sans crier gare. A Split, au contraire, on baigne dans un melting-pot historique qui donne un peu le tournis, et on finit par virer un peu philosophe, surtout en 2021 : Romains, Byzantins, Vénitiens, Français, Autrichiens... Split est la preuve vivante que le déclin suit inévitablement l'apogée d'un empire, et notre civilisation moderne ferait bien de ne pas l'oublier.
Notre objectif premier était de visiter la cathédrale, mais nous sommes dimanche, et l'accès est donc forcément interdit aux touristes jusqu'à 13h. Qu'à cela ne tienne, il y a largement d'autres choses à voir en ville pour tuer le temps ! Après un tour dans les ruelles pour apprécier ce délicieux pot-au-feu architectural et nous emberlificoter proprement le cerveau, nous nous dirigeons vers la colline Marjan pour une balade à pied sans doute très malavisée à 11h30 en plein été et avec un seul petit litre d'eau dans nos sacs. Le mont Marjan a beau culminer à une altitude toute bretonne (178 m), la montée en plein soleil est un sacré exercice et l'Adriatique ne nous a jamais paru aussi tentante (DEMAIN !!). Nous sommes récompensés de nos efforts par des vues superbes sur Split et les îles environnantes, mais aussi par la chapelle Saint-Nicolas en milieu de route et par l'église Saint-Jérôme, avec sa petite chapelle troglodytique, en fin de parcours. Le chemin du retour, un peu moins joli, nous donne surtout à voir le port industriel... et des marches beaucoup trop nombreuses qui nous font nous féliciter de ne pas être passés par là à l'aller.
La balade a été suffisamment longue pour que la cathédrale soit désormais accessible, et c'est donc chez Dioclétien que nos pas nous ramènent. Qui a dit que les chrétiens du 7è siècle n'avaient pas d'humour ? Il en faut pourtant une sacrée provision pour construire une cathédrale sur le mausolée d'un homme qui a consciencieusement martyrisé et persécuté votre communauté au cours de la dernière décennie de son règne ! Où que se trouve son tombeau aujourd'hui (les historiens en ont perdu la trace au 8è siècle), l'ex-empereur doit sérieusement se retourner dedans ! Malgré sa taille (c'est une des plus petites au monde), la cathédrale de Split parvient à être relativement chargée, avec son autel baroque, ses frises et sa chaire en marbre de toutes les couleurs. Quant au clocher, ce n'est pas la randonnée de ce matin qui nous empêchera d'y grimper pour profiter d'une autre vue sur la ville, la colline Marjan et les îles qui nous tendent les bras.
Après un crochet par le tout petit temple de Jupiter (ou le baptistère Saint-Jean-Baptiste, selon ceux qui ont refait la déco), nous allons récupérer notre voiture au B&B où nous l'avons laissée ce matin pour préparer la prochaine étape du voyage : le trajet en ferry jusqu'à l'île de Hvar, où nous resterons six jours pour profiter des fonds marins de l'Adriatique. Quelques courses s'imposent pour le dîner et le petit-déjeuner du lendemain, et nous faisons donc escale dans un supermarché pour nous ravitailler avant de rejoindre le port. Il est 17h et notre ferry n'appareille pas avant 20h30... C'est l'occasion de nous reposer un peu dans la voiture et de commencer à rédiger le blog, puis de pique-niquer au bord de la mer, face au soleil couchant et aux lumières de Split. Malgré une organisation qui nous paraît bien bancale pour faire embarquer les voitures, le ferry quitte le port à l'heure dite et nous dépose au port de Stari Grad, sur Hvar, deux heures plus tard. Dès demain, nous serons de retour en combinaison de plongée après près de deux ans de hiatus !
And every empire will fall, every monument crumble... (chanson complète ici pour ceux qui n'ont pas peur du doom metal)
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