samedi 16 juillet 2022

Orcades

Jour 0 : Périple vers le Grand Nord (enfin presque...)

Après une journée entière de voyage, trois vols sur trois retardés, l'angoisse que British Airways "oublie" de transférer notre valise d'un avion à l'autre et beaucoup de frustration liée au fait que tout, absolument TOUT échappait à notre contrôle, nous avons finalement réussi à rallier le minuscule aéroport de Kirkwall, "capitale" des Orcades, en ce jour de fête nationale française avec seulement deux heures de retard sur le planning prévu... et avec une valise !! Pour vous donner une idée de l'expérience à l'arrivée, l'air sent le mouton dès que l'on met un pied hors de l'avion (à hélices, évidemment), le hall d'arrivée/départ est à peu près aussi grand que notre salon, les bagages sont livrés en environ 78 secondes, et il faut appeler un taxi pour rejoindre l'hôtel parce que ce n'est pas comme si les chauffeurs faisaient la queue pour attendre le chaland à 21 heures... La journée fut donc particulièrement chaotique, mais notre valise et nous sommes arrivés, et c'est le principal ! (Le retour risque d'être une autre paire de manches, mais c'est une histoire pour plus tard.)

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Jour 1 : Kirkwall

Après avoir récupéré notre voiture de location à Kirkwall, les vacances peuvent enfin commencer. Au menu du jour, exploration de la "grande ville" (10 000 habitants, quand même !!), qui se fera principalement à pied, dans la mesure où les sites touristiques majeurs sont concentrés dans le tout petit centre-ville. Entre la cathédrale St Magnus et son cimetière romantico-gothique qui aurait bien plus à Byron, les palais du comte local et de l'archevêque (ou ce qu'il en reste) et le musée des Orcades, on comprend très vite une chose : cet archipel, c'est Vikingland avec l'accent écossais (si vous avez répondu "meilleure combinaison du monde", prenez un shortbread parce que vous êtes quelqu'un de bien). Occupées par les Pictes, puis par les Vikings débarqués de la Norvège toute proche, puis rattachées pour de bon à l'Ecosse en 1468, les Orcades sont un véritable melting-pot culturel, avec pierres runiques et comtes répondant aux doux noms de Svein, Haakon et Thorfinn d'un côté, et haggis dans les supermarchés de l'autre. Ah, et du whisky, bien sûr. Deux distilleries pour les 520 km² de l'île principale, c'est beau. Et on ne s'est d'ailleurs pas privé d'une petite dégustation dans les deux, pour la culture locale, bien sûr. Se culturer, c'est important.

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Jour 2 : Sites néolithiques et Stromness

On se plaint d'avoir mis une journée entières à accéder à cet archipel sublime et battu par les vents parce que British Airways est dans la mouise, mais 5 000 ans avant notre ère, il y a eu des gens assez fous (ou courageux, mais des fois il n'y a pas de différence) pour prendre la mer depuis l'Ecosse sur des coquilles de noix, se dire que le site n'était pas si pire et s'installer là. Des découvertes archéologiques au petit bonheur du 19e siècle aux excavations plus sérieuses des 20 et 21e, les Orcades ont fini par avoir droit à leur propre site labellisé Patrimoine mondial de l'humanité par l'UNESCO. Au milieu de nulle part et des moutons qui tondent la pelouse, des souvenirs de villages néolithiques à l'organisation incertaine et des cercles de pierres levées à la signification encore plus obscure se dressent au bord de la route, entre loch et bruyère, comme si on ne contemplait pas 7 000 ans d'histoire mais un simple élément de décor. Les cairns se méritent davantage, et il faut littéralement ramper pour accéder à l'intérieur (les genoux s'en souviendront quelques jours), parfois éclairé, parfois visible uniquement à la lumière de la lampe du smartphone. Plus récente et moins époustouflante, la deuxième plus grande ville de l'île principale, Stromness (2 000 habitants, toooout ça), offre une jolie balade, mais pour une ville qu'on nous a vendue comme incontournable pour ses boutiques d'artisanat, nous sommes loin d'être impressionnés. Le porte-monnaie nous remercie, mais ce sont les jambes qui boudent un peu, parce qu'il paraît que 10 km de marche et les contorsions pour entrer dans un cairn du Néolithique, ce n'est plus de notre âge...

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Jour 3 : Mull Head Nature Reserve

Autre jour, autre thème : ce dimanche, ce sera "Mère Nature est une drama queen", et quand elle a conçu l'Ecosse, elle a poussé le bouchon très loin. Réserve naturelle protégée située à la pointe est de l'île principale, Mull Head est le paradis des randonneurs et des ornithologues amateurs. Entre falaises à pic, mer gris ardoise et champs de bruyère où poussent des chardons et des orchidées, le site est d'une beauté à couper le souffle et les photos se font pratiquement toutes seules (tu pointes où tu veux, tu appuies sur le bouton, et hop, c'est beau). Il n'est normalement pas impossible de repérer macareux, dauphins, baleines et orques le long de la côte, mais aujourd'hui, nous devrons nous contenter de colonies entières de goélands, de fulmars et de cormorans, ainsi que d'un phoque surpris en pleine sieste, en train de flotter comme un bouchon. Si le dieu des bestioles n'est pas avec nous aujourd'hui, nous avons en revanche Thor dans notre camp, car malgré les gros nuages gris qui contribuent à l'ambiance "Hauts de Hurlevent", nous n'avons pas pris une seule goutte en 3 heures de randonnée. A force de crapahutage, nous avons même fini par avoir trop chaud, alors qu'il ne fait que 18 °C. Autant dire la canicule, sous ces latitudes...

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Jour 4 : Certification plongée en combinaison étanche

L'Europe fond, le Finistère et la Normandie sont en alerte rouge (ça ne leur arrive pas souvent), le Royaume-Uni aussi (là, c'est même une grande première)... et pendant ce temps, deux imbéciles heureux vont passer leur certification PADI Combinaison étanche dans la baie de Scapa Flow, à proximité des Churchill Barriers, des chaussées construites entre plusieurs îles de l'archipel pendant la Deuxième Guerre mondiale sur ordre de ce bon vieux Winston pour éviter de laisser les portes des Orcades (et, par extension, du Royaume-Uni) grandes ouvertes aux sous-marins allemands. Des blocs de béton et de vieux bateaux de pêche ont également été coulés pour rendre l'accès encore moins aisé, et si on les voit très bien depuis le rivage, c'est forcément mieux sous l'eau. La visibilité n'est pas très bonne, mais même comme ça, les restes de ces pièges à U-Boot artisanaux sont impressionnants, et la vie qui y grouille (crabes, escargots de mer, nudibranches, limandes, bancs de méduses qui imitent drôlement bien un champ de mines...) aussi. Côté technique, il faut désapprendre tout ce que nous avons appris avec les combinaisons humides, et ce n'est pas une mince affaire. Et pour la canicule, on repassera : après 2 heures dans une eau à 13 °C, combi étanche ou pas combi étanche, il fait froid, et la douche et le thé brûlants une fois de retour au bercail ne sont pas superflus. Mais les exercices sont terminés, la certification est à nous, et les épaves de demain s'annoncent beaucoup, beaucoup plus intéressantes !

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Jour 5 : Plongée dans Scapa Flow

Certification en poche, nous prenons la mer depuis Stromness ce matin pour aller découvrir Scapa Flow et ses plus beaux secrets : les vestiges de la flotte allemande, sabordée en 1919. Après la défaite de l'Allemagne en novembre 1918, 74 navires de la Hochseeflotte sont contraints de se rendre aux Britanniques et sont mis à l'ancre dans les Orcades en attendant que leur sort soit scellé par le Traité de Versailles. Les équipages allemands, pas vraiment en odeur de sainteté auprès des locaux, sont livrés à eux-mêmes et ne reçoivent que des journaux vieux de plusieurs semaines. L'amiral von Reuter ignore donc que la signature du Traité, qui devait avoir lieu le 21 juin 1919, a finalement été repoussée jusqu'au 23 pour fignoler des détails. A la date prévue, sans nouvelle de ce qui a été décidé concernant la Hochseeflotte, von Reuter décide de saborder le tout plutôt que de voir les navires tomber aux mains des Britanniques. Sur 74 bâtiments, 53 finissent au fond de l'eau. Dans les années qui suivent, certains sont renfloués pour récupérer toute les matières premières qui pouvaient l'être, tandis que d'autres sont désossés par 30 mètres de fond. Aujourd'hui, il ne reste que 7 bateaux à "visiter", et ce matin, nous plongeons sur deux croiseurs légers, les SMS Dresden et Karlsruhe. Ce n'est pas exactement tous les jours qu'on plonge sur des épaves de la Première Guerre mondiale et qu'on découvre des cabestans, des canons et... la baignoire des officiers ?! Qui dit épave dit forcément vie sous-marine très riche, et nous sommes sidérés par la véritable colonie d'étoiles de mer géantes qui a élu domicile sur le SMS Karlsruhe. Les oursins, les méduses et l'énorme homard planqué sous un rocher ne sont pas désagréables à regarder non plus... Après une deuxième plongée particulièrement réussie et une bordée de compliments de la part de notre divemaster (il paraît qu'on gère la combi étanche et que nous sommes particulièrement bons pour économiser de l'air ; merci, on prend !!), nous sommes fiers de pouvoir dire que nous avons chopé la technique, même si l'eau à 13 °C reste un sacré challenge. Safari nudibranches en Norvège, nous voilà !!

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Jour 6 : Pointe sud et Seconde Guerre mondiale

Retour sur la terre ferme avec un nouveau thème pour la journée : la guerre. Non, ce n'est pas très gai, mais c'est inextricablement lié à l'histoire des Orcades depuis Napoléon, alors c'est un passage obligé. Comme nous l'avons déjà expliqué, les Churchill Barriers ont été construites pour empêcher l'ennemi d'accéder à l'archipel par l'est, mais elles avait aussi l'avantage de relier l'île principale à trois îles plus petites au sud, ce qui est toujours plus rapide qu'un bateau. C'est sur l'une des plus petites îles, Holm, que des prisonniers de guerre italiens ont construit de leurs mains, avec des huttes en tôle gracieusement offertes par les locaux et les moyens du bord (ferraille de récup', bois flotté, béton...), une petite chapelle catholique, que les Orcadiens ont promis de préserver après une fois les prisonniers rentrés au bercail. Ce n'est pas la plus grande ni la plus luxueuse des églises que nous ayons visité lors de nos voyages, mais c'est sans doute la plus touchante, car elle est le symbole de la tolérance et du respect mutuels que se vouaient les prisonniers et leurs geôliers. Après un détour par l'extrémité sud de South Ronaldsay et sa "Tombe des Loutres" préhistorique, découverte seulement en 2010 et toujours en cours d'étude, nous revenons à un passé plus récent avec une marche le long de Hoxa Head et de ses charmantes constructions en béton qui abritaient la défense côtière pendant les deux Guerres mondiales (comprendre : il y avait tellement de gros canons capables d'annihiler un U-Boot en moins d'une minute que les Allemands n'ont jamais tenté de forcer le passage). La vue sur Scapa Flow est superbe. Les fortifications grises à moitié effondrées, beaucoup moins. Mais encore une fois, c'est un énorme pan d'histoire locale, et il aurait été dommage de passer à côté.

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Jour 7 : Hoy

Ce matin, direction la deuxième plus grande île des Orcades, Hoy, après une petite traversée en ferry de 35 minutes. Une fois à destination, il nous faut à peine 18 secondes pour réaliser que la taille de l'île ne présume absolument pas de la population : en une journée complète, nous n'avons croisé que des maisons perdues au milieu de rien (et dont on envie les baies vitrées qui offrent une vue incroyable sur encore plus de rien), sans la moindre ville en vue. Après vérification, Hoy compte à peine plus de 400 habitants. Heureusement que nous avions prévu le déjeuner avant de partir... Avec si peu de bipèdes au kilomètre carré, l'île est presque totalement sauvage, et les paysages sont tout bonnement à couper le souffle. A part des champs de bruyère, des falaises vertigineuses à côté desquelles celles de Mull Head ne sont qu'une vaste blague et des moutons scandalisés par notre passage au milieu du chemin de randonnée, il n'y a absolument RIEN... et c'est précisément pour ça que c'est si beau. L'ascension vers The Old Man of Hoy, une colonne de grès rouge posée sur un socle de basalte (et la raison pour laquelle 90 % des gens font le déplacement), n'est qu'une succession de pauses pour prendre des photos et secouer la tête en se demandant comment de telles merveilles sont seulement possibles. Et quand les nuages se mettent à dévaler les montagnes pour remplir les vallées et rendre les paysages encore plus incroyables, on se dit qu'on louperait bien malencontreusement le ferry de retour, voire l'avion du surlendemain... La randonnée jusqu'à The Old Man étant relativement longue, nous n'avons que peu de temps à consacrer au reste de l'île, mais nous faisons tout de même un détour par Dwarfie Stane, une tombe néolithique creusée à même la roche, et surtout, surtout, par la pointe de Braebister, difficilement accessible par un chemin plus adapté aux dahuts qu'aux humains, mais dont la beauté dépasse l'entendement. J'ai trouvé mon nouveau fond d'écran de PC, merci bien. Nature sauvage oblige, la route de retour au terminal du ferry est un véritable parcours de rallye pour un Benjamin ravi de pouvoir s'amuser un peu dans les virages et sur les bosses. Nous laissons à regret derrière nous ce qui est peut-être la plus belle réussite de Mère Nature sur cette planète pour retrouver la civilisation de l'île principale et sa population totalement excessive. 32 habitants au km², après les 2,75 de Hoy, c'est beaucoup trop !!

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Jour 8 : Skara Brae et Marwick Head

Ou le résumé parfait de ce que les Orcades ont à offrir : sites néolithiques et nature préservée. Skara Brae est peut-être le site touristique le plus connu de l'archipel, et ce n'est pas pour rien : ce n'est pas tous les jours qu'on visite un village préhistorique vieux de 5 000 ans (plus ancien que Stonehenge, donc), dont les "meubles" en pierre sont toujours en place. Si le village en lui-même ne se contemple que du dessus, le long de sentiers bien balisés, une des maisons a été fidèlement reconstituée à la sortie du Visitor's Centre et permet de se faire une idée de ce à quoi ressemblait la vie quotidienne au néolithique. Apparemment, il y avait du homard au menu. Les Orcadiens de l'an 3 000 avant J.-C. mangeaient mieux que nous, c'est bon à savoir... Le billet pour Skara Brae donne également accès en été à Skaill House, la propriété du laird (c'est comme "lord" mais avec l'accent écossais) local, et le passage du village préhistorique au manoir seigneurial ambiance début du 20e siècle est assez brutal. Mais il y a de beaux journaux de mode des années 1920 et des Petits Malins cachés dans toutes les pièces, alors la visite vaut forcément le coup. Comme si nous n'avions pas assez marché sur la côte hier, nous concluons nos vacances avec la réserve naturelle de Marwick Head, ses appartements de grand standing pour oiseaux marins de toutes espèces (avez-vous la moindre idée du bruit que peuvent faire plusieurs milliers de piafs rassemblés au même endroit ?!) et son monument à Lord Kitchener, ministre de la guerre mort dans l'exercice de ses fonctions lorsque le HMS Hampshire a bêtement sauté sur une mine allemande au large des Orcades en 1916. Les 737 autres personnes qui se trouvaient à bord et n'avaient pas l'heure d'avoir un titre n'ont eu droit à leur mur commémoratif autour du monument qu'en 2016... Malheureusement, toujours pas de loutres, de dauphins ou de baleines en vue. Niveau bestioles, nous sommes décidément maudits.

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Jour 9 : Retour... ou pas

"Le voyage aller a été chaotique et stressant", disions-nous il y a un peu plus d'une semaine. Si le retour s'était contenté d'être chaotique et stressant, nous aurions été ravis. Au lieu de cela, il s'est avéré tout bonnement catastrophique. Pour des raisons beaucoup trop longues à expliquer, mais qui se résument à "c'est 20 % notre faute, 40 % celle de British Airways et 40 % celle de l'aéroport d'Inverness", nous avons manqué notre vol entre Inverness et Londres, et par conséquent le Londres-Paris. L'aéroport d'Inverness étant à peine plus grand que celui de Kirkwall et fermant après le dernier vol (celui dans lequel nous aurions dû nous trouver, donc...), nous ne pouvons même pas espérer nous faire transférer sur un autre vol qui nous permettrait peut-être de retrouver notre home sweet home dans les délais prévus. Nous n'avons donc plus qu'à prendre une chambre à l'hôtel d'en face et à évacuer notre frustration en commandant une bouteille de vin ou deux. Après 40 minutes d'attente infructueuse, nous renonçons à joindre le service clients de British Airways et achetons les premiers billets pour Paris disponibles pour le lendemain. Drôle de façon de célébrer nos 15 ans !!

Jour 10 : Retour, pour de vrai cette fois-ci

Nouvelle journée perdue dans un aéroport, mais cette fois, c'est la bonne, et nous retrouvons nos pénates aux alentours de minuit. Même que la valise nous a bel et bien suivis, dites donc. Pas de doute, ce voyage dans le Grand Nord aura été une sacrée aventure !