Contrairement à la journée d'hier, où nous étions à peu près libres d'effectuer les visites au programme comme bon nous semblait, notre planning d'aujourd'hui est organisé à la minute près. Bon nombre de visites à Rome se font désormais sur réservation plusieurs semaines à l'avance, ce qui permet certes d'éviter les files d'attente, mais implique aussi une organisation au quart de millimètre.
Ce matin, nous prenons donc le métro (histoire de faire tous les transports en commun de Rome) jusqu'à la Piazza del Popolo et son obélisque vieux de Ramsès II (13è siècle avant notre ère), qui fait se sentir encore plus petit et insignifiant que tous les vestiges romains des 1er ou 2è siècle avant J.-C. que nous avons pu voir jusqu'à présent. Les deux églises qui se trouvent derrière ont pour elle l'avantage de la symétrie qui rend bien sur les photos, mais l'église la plus intéressante de la place reste Santa Maria del Popolo, dont la façade et l'autel sont actuellement en rénovation mais qui renferme tout de même des orgues superbes, des stèles funéraires flippantes, deux Caravage, un peu de Raphaël et deux statues du Bernin. Bon, ces deux derniers artistes sont malheureusement cantonnés à une petite chapelle sans éclairage, mais pour une église de taille franchement modeste, ça fait une belle quantité de génie au mètre carré. Au cas où on en doutait encore, c'est l'occasion de se rendre compte que le Caravage pourrait en remontrer à huit saisons de Game of Thrones en termes de violence. Pas impossible qu'on l'aime précisément pour ça.
Les yeux rivés sur la montre, nous quittons église et place del Popolo pour rejoindre la Villa Borghèse via les jardins qui lui appartenaient autrefois. En fait de "jardins", il s'agit plutôt d'un très grand parc où se promènent touristes, familles et gens à chiens. Il y a des statues à toutes les intersections, un jardin zoologique et même une copie du théâtre du Globe (celui de Shakespeare, donc), mais même si cet intermède vert nous permet de respirer un peu plus librement qu'en d'autres endroits de la ville, les grands amateurs de parcs à l'anglaise que nous sommes auraient aimé profiter de plus de fleurs. Cela dit, les jardins étant moins remarquables que nous le pensions, nous n'avons finalement pas besoin de courir pour être à l'heure à la Villa Borghèse, où nous avons rendez-vous à 11h.
"L'agrumeraie" de la Villa Borghèse
Pas la peine d'espérer visiter la Villa Borghèse si on n'a pas réservé il y a des semaines : les visites sont archi-complètes jusqu'au 21 mai et les touristes qui n'ont pas prévu le coup sont nombreux à se faire éconduire aux caisses. Et on ne rigole pas avec les horaires : la réservation est conservée pendant 5 minutes, la visite de la pinacothèque est limitée à 30 minutes, et l'ensemble du "séjour" dans la villa, à deux heures. Autant dire que Benjamin a bien étudié notre Routard avant pour savoir sur quelles œuvres se concentrer et quelles salles nous faire visiter en priorité ! Au 17è siècle, la villa fut la résidence et le musée personnel du cardinal Scipion Borghèse (que ses parents devaient détester pour lui filer un nom pareil), amoureux des arts et mécène du Bernin, du Caravage, du Dominiquin et consorts. Autant dire que c'est plutôt gentil, chez lui, et que la quantité d’œuvres d'art par salle fait un peu tourner la tête.
Le rapt de Proserpine, le Bernin
Benjamin et son GPS intégré nous font faire le tour de la pinacothèque en une demi-heure montre en main, mais nous aurions sans doute pu y passer un peu plus longtemps, car personne ne vient nous chasser à coups de bâton. Qu'à cela nous tienne, nous avons eu le temps de nous ébaubir devant les Raphaël, les Rubens et les Dominiquin que compte la collection, et cela nous laisse des minutes en plus à consacrer à nos coups de cœur absolus de la visite : les œuvres du Bernin. Je reviens sur ce que j'ai affirmé hier concernant notre préférence pour la peinture : la sculpture, nous sommes très fans... à condition que ce soit signé du Bernin. Il faut dire que le bonhomme a plus de talent que tous les sculpteurs de l'époque réunis (oui oui, même Michel-Ange est loin derrière) et que la collection Borghèse renferme certaines de ses plus belles œuvres. Le rapt de Proserpine, que Benjamin avait de le collimateur avant même d'arriver à Rome, représente tout simplement la perfection, et nous passons un temps fou à l'observer sous toutes les coutures pour ne pas en perdre une miette. Apollon et Daphné suit de très près sur l'échelle du sublime, et La fuite d'Enée de Troie complète le podium.
Côté peintures, la moisson n'est pas mauvaise non plus : une salle qui abrite six Caravage (même si deux sont absents pour cause de prêt ou de restauration), ce n'est pas donné à tous les musées. Et en parlant de salles, les différentes pièces du palais constituent à elles seules de véritables œuvres d'art : les trompe-l'oeil de la salle du Caravage sont sidérants et la déco de la salle égyptienne, avec ses ibis et ses faux cartouches, fait très authentique. La visite se termine par les "vrais" jardins de la Villa Borghèse, certes petits mais beaucoup plus conforme à l'idée que nous nous faisons de jardins à l'italienne. Au final, malgré le temps passé à observer Proserpine et Apollon et Daphné sous tous les angles et un nombre indécent de photos, nous quittons le musée au bout de seulement 1h30. Trop facile.
Etant donnée la densité de notre programme de l'après-midi, cette demi-heure gagnée c'est pas du luxe et nous permet de déjeuner rapidement dans le parc de la Villa Borghèse avant de rejoindre la Villa Médicis, alias l'Académie de France à Rome. Manque de chance, les horaires de visite en français annoncées il y a quelques semaines, lorsque nous avons établi le programme, ont été modifiées, et la suivante n'a pas lieu à 14h, comme prévu, mais à 15h. Heureusement que l'église de la Trinité-des-Monts et la Piazza di Spagna ne sont qu'à quelques mètres de là !
L'église de la Trinité-des-Monts depuis la Piazza di Spagna
Outre le fait d'appartenir à la France depuis sa construction (il y a un thème, dans cette rue !), l'église de la Trinité-des-Monts n'a rien de particulièrement exceptionnel... si ce n'est son célébrissime double escalier qui mène jusqu'à la Piazza di Spagna en contrebas. Par ce temps superbe, nous ne sommes pas les seuls à avoir eu l'idée de faire un saut dans le coin et la place comme les escaliers sont noirs de monde. Difficile de profiter tranquillement de la petite fontaine en forme de bateau qui coule et de la jolie symétrie de la vue... Pour passer le temps en attendant l'heure de retourner à la Villa Médicis, nous nous posons sur les marches avec les glaces les plus chères de la création. Elles ont beau être bonnes, quand un groupe de collégiennes françaises vient nous demander où nous les avons trouvées, nous leur conseillons gentiment d'aller se fournir ailleurs !
La Villa Médicis côté jardins
Retour à la Villa Médicis pour la visite guidée de 15h, et s'il n'y a pas une foultitude de choses à voir, la visite est riche en anecdotes et en révélations étymologiques (vous aviez réalisé que les mois de "juillet" et "août" avaient été ajoutés pour les beaux yeux de Jules César et de l'empereur Auguste, vous ? Ben nous non plus). Depuis 1803, l'Académie de France, propriété de la France, accueille des artistes à résidence, et quand on voit le cadre dont ils bénéficient, on regrette de ne pas avoir le moindre projet artistique à proposer au Ministère de la Culture : les jardins sont immenses et parsemés d’œuvres de Balthus, le studio de peinture au milieu du parc est délicieusement décoré en volière et la vue sur Rome depuis le belvédère est superbe. On peut certes louer une chambre sur place pour ses vacances en s'y prenant largement à l'avance, mais les artistes, eux, ont droit de rester là un an. Il paraît que la cuisine est considérée comme un art à la Villa Médicis, il n'est peut-être pas trop tard pour que j'essaie de m'y mettre...
La volière du studiolo
Pour terminer cette journée décidément très organisée, nous avons rendez-vous à 17h au couvent de la Trinité-des-Monts, bâti par les rois de France pour la congrégation des Minimes, active jusqu'à ce que la Révolution passe par là. Nous n'avions jamais entendu parler de Saint François de Paule, le fondateur de l'ordre, avant aujourd'hui, et pourtant, le bonhomme a passé les 25 dernières années de sa vie en France, où il est d'ailleurs enterré. Le couvent abrite aujourd'hui une école italienne où l'on apprend le français dès les petites classes. C'est aussi un lieu qui abrite une quantité assez incroyable d’œuvres exceptionnelles, dont un bottin complet des rois de France, du 5è siècle à Charles X,un réfectoire couvert du sol au plafond de trompe-l'oeil représentant les noces de Cana et un astrolabe du 17è siècle à laquelle la moins scientifique de nous deux n'a toujours rien compris. Le responsable de cette horloge universelle incompréhensible pour le profane, un professeur de philo et de théologie qui aimait bien les maths, a également signé deux anamorphoses à peu près aussi confusionnantes sur les murs du couvent. Quant à la Mater admirabilis (la Vierge, quoi) peinte par une petite novice qui avait "quelques notions" de peinture a tempera, elle est de toute beauté et attire encore aujourd'hui des pèlerins du monde entier.
La messe en français à l'église de la Trinité-des-Monts est incluse à la fin de la visite, mais nous préférons décliner au profit d'une pause bien méritée. Même si nous n'avons pas l'impression d'en avoir fait tant que ça dans la journée, l'enchaînement de visites guidées a eu raison de nos gambettes. Pour compenser l'échec majeur d'hier soir, nous nous offrons un aperitivo et un dîner "à l'anglaise" (traduire "avant 19h") dans une œnothèque à proximité de la Piazza di Spagna. Qui a dit qu'il n'y avait que la culture, à Rome ?!
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