"Le premier lundi du mois d’avril 1626, le bourg de Meung, où naquit l’auteur du Roman de la Rose, semblait être dans une révolution aussi entière que si les huguenots en fussent venus faire une seconde Rochelle."
Cette petite merveille de la langue française, là, c'est la première phrase des Trois Mousquetaires, et la cause de tout ce tapage, c'est l'arrivée d'un certain d'Artagnan à Meung-sur-Loire. C'est ici que le futur capitaine des mousquetaires rencontre pour la première fois Milady et Rochefort, qu'on lui pique sa lettre de recommandation à M. de Tréville et que commence donc sa carrière d'empêcheur de tourner en rond professionnel. La groupie de Dumas que je suis cherchais depuis des années une bonne excuse pour mettre les pieds à Meung. Voilà, c'est fait !
Aujourd'hui encore, et pendant à peu près tout le séjour, les distances sont très réduites : une bonne demi-heure de trajet depuis Orléans par le chemin des écoliers et nous voilà à Meung-sur-Loire (ça se prononce "Main"). Qu'il soit encore trop tôt dans la saison ou que les touristes préfèrent ignorer tous les lieux qui n'ont pas trois étoiles dans le Routard, nous avons pratiquement le château pour nous tous seuls ce matin. Et ce n'est pas plus mal, parce qu'il y a une foultitude de choses à voir, à lire et à photographier, et c'est quand même mieux de faire tout ça quand il n'y a personne.
Médiéval et gris côté pile, classique et rose côté face, le château de Meung mélange les genres, et à l'intérieur, on passe allègrement des jolies pièces de vue reconstituées aux salles de torture souterraines. L'endroit a été le fief des évêques d'Orléans jusqu'à la Révolution, et la même Jeanne qu'hier y est passée en 1429 pour en chasser ces maudits Anglois qui s'y étaient retranchés. Des celliers à presque 8 mètres de profondeur au grenier où sont entreposés de vieux jouets d'enfants, en passant par la chambre de Madame, le salon de comédie, la blanchisserie, la chambre du malade ou la grande cuisine, on visite un très grand nombre de pièces, et toutes ont droit à un petit panneau explicatif très didactique. Ici, pas de minute culture soporifique à base de dates et de noms de rois, mais des anecdotes sur la vie quotidienne. On apprend par exemple qu'il faut stocker environ 800 serviettes de table, parce que les grandes lessives ne se font que deux fois l'an, ou que la viande rouge était considérée comme trop basique pour les nobles, qui lui préféraient les viandes noires (le gibier, quoi), la volaille ou le cochon.
Le château propose même une exposition temporaire qui retrace l'histoire des sous-vêtements depuis le Moyen-Age jusqu'à nos jours, et au sous-sol, trois vidéoprojecteurs diffusent un spectacle vidéo à 180°. Tout ça est extrêmement pédagogique, très bien fichu, et la visite restera comme une très bonne surprise du séjour. Rien que pour ça, il vaut bien la peine de s'arrêter entre Orléans et Chambord !
Juste en face du château, on trouve la collégiale Saint-Liphard, du nom d'un proche de Clovis qui vint redynamiser la ville après sa destruction totale par les Vandales au 5è siècle. Nous, on y a vu une église tout ce qu'il y a de plus classique (quoiqu'avec des vitraux signés Ingres dedans), mais comme on est curieux, on a quand même voulu savoir ce que doit faire une église pour se faire appeler collégiale. Réponse : être confiée à un collège de clercs. Si c'est le siège de l'archevêché, c'est une cathédrale, sinon, c'est une collégiale. Facile. Celle-ci se distingue d'à peu près toutes les églises de l'univers par le fait qu'on entre par le transept et non par la nef, mais à l'intérieur, on n'y trouve rien de vraiment mémorable. Il faut dire que passer après la cathédrale d'Orléans, c'est un peu compliqué...
Le château n'avait bizarrement pas de jardin à proposer, mais Meung compense avec pas moins de deux "Jardins remarquables". On commence par les Jardins de Roquelin, qu'on pourrait très bien rebaptiser "le paradis de la rose", vu qu'ils renferment tout de même 450 variétés de roses anciennes. Dans la patrie de Jehan de Meung, l'auteur du Roman de la Rose, forcément... Ce n'est plus tout à fait la saison pour les roses, mais le jardin à l'anglaise reste très agréable à parcourir et on y trouve un certain nombre d'animaux que les grands enfants trentenaires se font une joie de photographier. On ne sait pas à quoi ils nourrissent leurs oies, dans le coin, mais on n'en a jamais vu d'aussi grosses ! Les petits moutons noirs qui broutent les branches basses juste devant notre voiture, eux, ont l'air carrément intéressés par les lacets de mes baskets...
Le deuxième jardin remarquable n'ouvrant qu'en milieu d'après-midi, nous allons nous reposer et refaire le monde sur un banc face à la Loire, puis acheter à déjeuner au centre commercial. A 14 heures, la chaleur est difficile à supporter, et si nous avions su que l'arboretum des Prés des Culands était entouré d'eau, nous serions sans doute allés déposer nos valises à l'hôtel d'abord, histoire de passer les heures les plus chaudes de la journée à l'abri. Mais le guide touristique ne précisant pas ce détail, nous passons directement de la zone commerciale au jardin, par 35° et dans une moiteur de forêt amazonienne. Sans le spray anti-moustiques gracieusement proposé par le jeune homme à l'entrée, je ne sais pas dans quel état nous aurions fini !
Après les roseraies de Bulgarie et le jardin des mousses à Kyoto, on découvre ici... le jardin de houx. C'est même la deuxième plus grande collection au monde, avec plus de 450 variétés. Pas besoin d'être botaniste pour les identifier au premier coup d’œil le long de la promenade fléchée : s'il y a des feuilles qui piquent, c'est du houx. Le critère est assez basique, et à partir de là, Mère Nature s'est lâchée : il y en a de toutes les tailles, de toutes les formes, des très dentelées, des avec juste trois pointes, des sur de grands arbres, des sur de petits arbustes, des qui poussent en 3D et qui font un peu peur... Et au milieu de tout ça, des clématites (là encore, ce n'est pas la saison), des hostas et de jolies hémérocalles orange. Comme aux Jardins de Roquelin, la plupart des variétés sont à vendre. C'est un peu comme chez Ikea : on se balade, on note les références de ce qui nous plaît, et à la fin de la visite, on passe au libre-service acheter ses rosiers anciens ou son houx qui pique. Bon, nous, avec notre jardin de 3 m², nous ne sommes pas vraiment la cible, mais les amateurs et/ou les bons jardiniers ont de quoi faire !
Il n'est pas encore 16 heures, mais l'extérieur est une fournaise et nous n'avons aucune envie d'y rester plus longtemps. Si les pauvres serviteurs de la Renaissance devaient faire 40 voyages pour remplir une baignoire d'eau (une autre des minutes culture du château de Meung), nous, on a l'eau courante dans l'hôtel, et après les températures tropicales de l'arboretum, on compte bien en profiter. Demain, nous attaquons les choses très, très sérieuses !
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