Sans même nous le faire exprès, nous avons planifié nos visites de la semaine à peu près chronologiquement : après Hampton Court, résidence royale jusqu'à Victoria, direction Buckingham, qui passa de "House" à "Palace" sous la future impératrice. Qui dit ouverture deux mois par an dit foule compacte aux grilles du palais, et cela se traduit par un programme de visite calibré à la minute près.
A 9h45 pétantes, une fois nos billets récupérés à la Queen's Gallery, nous passons le premier contrôle de sécurité d'une longue série pour accéder à l'exposition temporaire consacrée à Canaletto, peintre vénitien célèbre pour ses panoramas de la cité des Doges. La collection présentée ici (la plus vaste au monde des œuvres de Canaletto, excusez du peu) fut achetée par George III à Joseph Smith, ambassadeur d'Angleterre à Venise, mécène du peintre et collectionneur invétéré. Le bonhomme a laissé derrière lui une bibliothèque monumentale et une collection de peintures et dessins absolument exceptionnelle. En tant que visiteurs lambda, on lui dit merci : Canaletto et ses contemporains avaient un talent certain, et pour qui a mis les pieds à Venise une fois dans sa vie, la visite rappelle forcément des souvenirs. Cela dit, il faut reconnaître que le clou de la visite réside davantage dans les pastels de Rosalba Carriera que dans les vues du Grand Canal de Canaletto...
Rosalba Carriera, "L'Hiver"
Après un passage express à la boutique, d'où nous ramenons les essentiels d'une visite à Londres (une boîte de thé et un corgi en peluche que nous baptisons aussi sec "Bucky"), nous passons à l'étape suivante de notre "Royal Day Out" : les écuries royales, ou Royal Mews dans le texte. Ceux qui ont joué à Assassin's Creed: Syndicate reconnaîtront forcément l'endroit, puisque Jacob Frye y vole un carrosse au nez et à la barbe des gardes ! Plutôt que d'opter pour un des audioguides ultra-complets dont les résidences royales ont le secret, nous profitons cette fois d'une visite guidée. En temps normal, on trouve ici une trentaine de chevaux (10 Windsor Greys, réservés au monarque, et 20 Cleveland Bays, pour qui ne s'appelle pas Elizabeth II), mais période estivale oblige, ils sont presque tous en vacances à Hampton Court, en attendant le retour de la reine dans ses pénates. Louis et Marquetry, les seuls à ne pas avoir été mis au vert, sont là pour nous rappeler qu'il s'agit bien d'écuries en activité, même s'il faut que Benjamin imite le cri de la botte de foin pour que Marquetry daigne montrer sa tête pour les photos.
Pendant environ 45 minutes, la guide évoque le dressage et l'entraînement des chevaux (il faut bien apprendre à ces petites bêtes à ne pas avoir peur de la foule), l'aversion de la reine Victoria pour les voitures (son fils patientera deux bons mois après sa mort pour faire entrer la première Daimler royale dans les écuries), l'historique du carrosse du Jubilé de diamant de 2012 (suspension hydraulique, éclairage LED, climatisation, vitres électriques et caméra embarquée ; ce n'est pas une blague) et l'épouvantable inconfort du carrosse réservé aux couronnements, un monstre de quatre tonnes au look terriblement bling, dans lequel personne n'a envie de s'asseoir. C'est un tel mastodonte qu'il faut abattre une fausse cloison dans les écuries à chacune de ses sorties. Autant dire que les employés des écuries redoutent le prochain couronnement ! Les autres carrosses en exposition, du carrosse écossais à celui des mariages, agressent un peu moins la rétine. Benjamin se demande encore lequel voler pour aller assassiner le Grand Maître des Templiers avec le plus de panache...
Une fois les écuries derrière nous, pas question de traîner : nous avons rendez-vous à 12h15 pour la visite des Salles d'état. Quand on vous dit que tout est minuté... La foule des touristes est particulièrement dense et l'énième contrôle de sécurité de la journée est plus long qu'à l'aéroport. Pour ne rien arranger, nous apprenons, à notre grande déception, que les photos sont interdites à l'intérieur. Pour vous faire une idée de ce à quoi ressemble l'intérieur de Buckingham Palace, deux solutions : demander à Google Images ou jouer à AC: Syndicate ! D'après Benjamin, la reconstitution est incroyablement fidèle, et il se souvient avec émotion de tous les endroits où on peut assassiner de pauvres gardes qui n'ont rien demandé.
Au-delà de la blague, l'interdiction des photos nous reste en travers de la gorge, car les Salles d'état de Buckingham sont franchement spectaculaires. La décoration rouge, blanc et or est d'un goût exquis, impressionnante sans être ostentatoire ; la galerie de peintures, avec son unique Vermeer, ses Van Dyck, ses Titien et ses Rembrandt, ressemble à celle du château de Chantilly en plus intime ; la douzaine de portraits de Winterhalter éparpillée un peu partout dans le palais fait le bonheur de la fan du peintre que je suis ; et l'exposition sur les cadeaux officiels offerts à la reine au fil des décennies donne un côté très personnel à ce qui reste finalement un bâtiment officiel. Et ne parlons même pas de la richesse du guide multimédia : entre les informations sur les salles elles-mêmes, celles qui concernent les cadeaux et les explications détaillées de certains tableaux, il y en a pour deux bonnes heures de visite, passées beaucoup trop vite.
La façade de Buckingham côté jardin, en virtuel et en vrai
Nous en sommes déjà à quatre heures de marche cumulées depuis ce matin, il est donc plus que temps d'aller déjeuner et reposer nos semelles qui surchauffent. Le temps d'avaler un sandwich et de dévaliser le magasin Whittard qui se trouve sur la route (on n'a jamais assez de thé, c'est ma philosophie), puis nous nous rendons devant l'entrée principale de Buckingham pour boucler le Royal Day Out et essayer d'apercevoir un chapeau en poils d'ours ou deux. Nous devons vraiment être des enfants de Vigipirate et de l'état d'urgence, car ce qui nous surprend surtout sur cette esplanade noire de monde, c'est l'absence totale de forces de l'ordre...
Le temps ayant viré à la pluie, nous ne sommes pas fâchés d'avoir prévu un musée pour finir la journée. De façon générale, nous ne sommes pas fans de musées en voyage, et pour en mettre un au programme, il faut qu'il y ait une bonne raison. La bonne raison de la Tate Britain, qui renferme la plus grande collection d'art britannique au monde, des années 1500 à nos jours, c'est la salle "1840" et son impressionnante quantité de merveilles préraphaélites au mètre carré. Ceux qui ont eu le malheur de me servir de beta lecteurs le savent, je nourris une légère obsession pour les Préraphaélites depuis quelques années, et un passage par la Tate lors de ce séjour était une obligation. Millais, Rossetti, Hunt, Burne-Jones, Waterhouse, tous les grands noms et certains des plus grands chefs-d'oeuvre du mouvement sont réunis dans une même pièce. Entre la Lady of Shalott de Waterhouse et l'Ophelia et le Christ in the House of His Parents de Millais, c'est le syndrome de Staendhal assuré. Décidément, avec le Vermeer et les Winterhalter de ce matin, c'est ma journée peinture !
Dante Gabriel Rossetti, parfaite Proserpine
Il y aurait bien d'autres salles à visiter, mais après cette accumulation de merveilles, même les Van Dyck et les Turner font pâle figure (#objectivité). Benjamin ayant en plus perdu l'usage normal de ses pieds quelque part à Buckingham, il est plus que temps de rentrer se reposer... mais seulement après avoir fait une razzia de livres dans la boutique du musée. Demain, c'est promis, on essaie de faire moins dense !
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