Jour 5 - Château de Herrenchiemsee
Départ matinal aujourd'hui : le château d'Herrenchiemsee étant posé sur une île au milieu d'un lac, nous sommes forcément tributaires des horaires de bateau pour y accéder. L'avantage de prendre le bateau de 9h, c'est qu'à l'exception d'un groupe de collégiens allemands en sortie scolaire, les touristes se font rare, et que nous pouvons profiter de nos premiers pas sur Herreninsel en toute tranquillité. Nous sommes parmi les tous premiers à arriver au château ce matin-là, et la découverte n'en est que plus agréable.
Bon, on dit "découverte", mais il y a tout de même un sacré air de déjà vu et l'impression d'être beaucoup plus près de la maison que nous ne le sommes en réalité... Herrenchiemsee est en effet qualifié de "Versailles bavarois", et ce n'est vraiment pas pour rien. De la façade aux statues en passant par le canal et sa perspective, tout est fait pour rappeler le château du Roi Soleil, à l'exception peut-être de la feuille d'or en extérieur. Il faut dire que Louis II de Bavière, dont ce fut le dernier château rêvé, était complètement obsédé par la monarchie absolue française en général et Louis XIV en particulier. Après deux visites à Versailles, le roi décide qu'il veut la même chose pour lui, merci bien, et que le prix n'est pas un problème. Malheureusement, c'est déjà le troisième délire que Louis II s'est fait construire, et les caisses de la Bavière trouvent que si, justement, le prix est un sacré problème. Le 12 juin 1886, le roi est arrêté à Neuschwanstein, déclaré fou et envoyé au château de Berg pour y être soigné (ou, plus probablement, interné). Le lendemain soir, son psychiatre et lui sont retrouvés morts dans le lac attenant au château, dans des circonstances toujours pas élucidées à ce jour. Herrenchiemsee est laissé inachevé. Sur 70 pièces prévues, seules 20 sont terminées. Louis II y aura passé 9 jours.
La visite guidée est un vrai régal, car à cette heure matinale, nous ne sommes que quatre dans le groupe et pouvons donc explorer les pièces à loisir sans nous marcher dessus. Le couple de retraités qui nous accompagne étant également français, nous avons droit à l'audioguide dans notre langue maternelle et nous nous chargeons de traduire les anecdotes supplémentaires de notre adorable guide. Les photos sont malheureusement interdites à l'intérieur des châteaux de Louis II, donc il faudra nous croire sur parole si nous vous disons que "Versailles" est effectivement la description la plus appropriée pour ce délire décoratif. Ici, aucune touche personnelle ; à Herrenchiemsee, Louis II n'avait pas l'intention de recevoir de la famille (avec qui il était en froid), des amis (qu'il n'avait pas) ou des politiques (qu'il détestait), mais seulement de rendre hommage à ce Roi Soleil qu'il vénérait – au point de ne même pas oser dormir dans la chambre d'apparat, copiée sur celle de Louis XIV, par respect pour ce dernier. Rappelons que Louis XIV était mort depuis environ 130 ans lorsque son homonyme bavarois est né. (Oui, Loulou le jeune était câblé... différemment.) La Galerie des glaces mesure 8 m de plus en longueur et 2 m de plus en largeur que son homologue versaillaise, les consoles sont en céramique de Meissen et la quantité de feuille d'or explique où sont passés les fonds du royaume. C'est grandiose, absurde, magnifique, délirant... et au final très triste. Passer des pièces terminées à celles qui ne le furent jamais est une douche froide : on a l'impression de quitter une scène de théâtre pour la triste réalité des coulisses, et l'image correspond plutôt bien à ce que fut la vie de Louis II.
Le temps de notre visite, le site s'est considérablement rempli, et le réveil un peu trop matinal nous apparaît de plus en plus comme le meilleur choix du monde. Après avoir fait le tour du musée consacré à Louis II (où l'on apprend qu'un nouveau château de conte de fées était dans les tuyaux avant sa mort), nous prenons le temps d'explorer le parc et son "Grand Canal", et nous finissons par l'ancien monastère des Augustins, où se tint en 1948 la conférence destinée à rédiger la nouvelle Constitution allemande et qui abrite aujourd'hui une exposition sur le sujet. La muséographie est intéressante et le sujet mérite qu'on s'y attarde ("Qu'est-ce que la démocratie ? Qu'est-ce que la liberté et qui en est le garant ?" Vous avez quatre heures), mais dans une langue que nous maîtrisons mal et avec les spécificités politiques de l'Allemagne de l'après-guerre, c'est un peu intense pour nous...
Le retour se fait sous un soleil magnifique, accompagné par les petits voiliers, les kayaks et les pédalos des locaux venus profiter des dernières heures officielles de l'été. Ce soir, nous serons dans les Alpes !
Jour 6 - Abbaye d'Ettal et château de Linderhof
C'est désormais officiellement l'automne, et la Bavière a bien eu le mémo : après une semaine de temps superbe, nous avons aujourd'hui droit à une pluie continue qui rend les visites en extérieur un peu compliquées. Après une courte halte à l'abbaye d'Ettal, dont seule la petite église se visite (le monastère est en activité et produit des liqueurs, de la bière et du fromage), nous nous rendons au deuxième château de Louis II à notre programme, Linderhof.
A peu près aussi délirant que Herrenchiemsee à l'intérieur, Linderhof a au moins le mérite d'être fini en raison de sa taille réduite. Des fontaines supplémentaires étaient prévues dans le parc, mais le manque d'argent et, accessoirement, la mort de Louis II auront eu raison de ces projets. Si le décor intérieur est toujours un hommage à Louis XIV et Louis XV, les pavillons qui parsèment le parc, eux, sont une déclaration d'amour à l'autre héros du roi de Bavière, Richard Wagner. Outre un kiosque mauresque et un pavillon marocain qui lui permettaient d'aller jouer au sultan, Louis II s'est fait construire à Linderhof de véritables décors sortis tout droit des opéras de Wagner : la hutte de Hunding, tiré de La Walkyrie, l'hermitage de Gurnemanz, extrait de Parsifal, ou encore la grotte de Vénus (malheureusement fermée à l'heure actuelle pour restauration), que l'on retrouve dans Tannhäuser. Aujourd'hui, des haut-parleurs diffusent forcément des extraits des opéras dès que l'on pose le pied dans les pavillons, mais à l'époque, Loulou aimait aller y faire du cosplay en Siegfried ou en Tristan, parce qu'il est bien connu que le monde réel est un peu nul et que la fantasy, c'est quand même vachement mieux. On a beau partager le sentiment, là encore, l'éblouissement initial finit par laisser place à une certaine tristesse : le pauvre Louis avait besoin du Seigneur des Anneaux en version longue et d'une version mp3 de la Tétralogie, pas des responsabilités d'un roi...
Pour nous, la météo est synonyme d'inquiétude permanente pour l'appareil photo, ce qui explique le nombre limité de photos aujourd'hui. Malgré les K-ways, nous finissons trempés jusqu'aux os, et devoir attendre une heure entre la fin du tour du parc et la visite guidée de l'intérieur achève de nous frigorifier. Heureusement que nous n'avons que 30 petites minutes de route jusqu'à Garmisch-Partenkirchen avant de pouvoir prendre une bonne douche brûlante !!
Jour 7 - Schwangau et Füssen
Gros changement de programme en vue… Aujourd’hui, nous avions prévu d’emprunter le train à crémaillère et la télécabine qui permettent d’accéder au sommet du Zugspitze, le point culminant des Alpes bavaroises, mais tout est remis en question une fois à la gare. En effet, la météo ne s’est vraiment pas améliorée depuis hier, et les caméras qui donnent un aperçu en direct des conditions au sommet montrent que l’on n’y voit pas à 10 mètres. Ajoutez à cela une température annoncée de 3 °C, et vous comprendrez pourquoi nous avons préféré ne pas débourser le prix un tantinet excessif du billet. Nous devions passer la nuit à Füssen ? Nous y passerons aussi la journée !
Après un trajet d’une petite heure sur les routes… d’Autriche (si si, vive l’Europe) pour contourner les montagnes, nous rallions Schwangau, où nous allons admirer l’église St Coloman et surtout baver devant les deux châteaux au programme de la visite de demain, puis la vieille ville de Füssen. Si Schwangau a réussi à conserver son charme de petit village, Füssen est ultra-touristique en raison de sa proximité avec Neuschwanstein. C’est aussi une petite ville médiévale adorable en elle-même, avec son église St Magnus et son Hohes Schloss perché, comme son nom l’indique, au sommet de la colline. Malgré le caractère totalement improvisé de la visite, il y a de quoi faire, entre les peintures en trompe-l’œil et l’exposition d’art religieux médiéval du vieux palais épiscopal et le monastère (toujours consacré à St Magnus) faisant office de musée. L'enchaînement des expositions, de la lutherie de Füssen aux horloges bizarres, est un peu random, mais c'est souvent comme ça que notre cerveau fonctionne, alors nous n’avons aucune raison de nous plaindre.
Et le plus important, dans cette
affaire ? Nous avons laissé la pluie derrière nous. La visite du plus
important château de la région devrait se faire au sec !
Jour 8 - Hohenschwangau et Neuschwanstein
Nous sommes le 24 septembre et la journée a tout pour être parfaite : il fait beau, nous sommes à moins de 10 minutes de route du site où nous devons passer la journée et nous avons une place garantie pour la visite de deux des châteaux les plus célèbres de la planète. A priori, l'organisation idéale... jusqu'à ce que la voiture (la nôtre, celle de tous les jours, avec laquelle nous sommes arrivés de région parisienne) refuse de démarrer. La batterie a-t-elle "pris froid" (il commence à faire vraiment frisquet la nuit) ? Le câble USB branché sur l'allume-cigare l'a-t-il vidée ? A-t-elle tout bonnement rendu son tablier après avoir conduit davantage en une semaine qu'en presque neuf ans de bons et loyaux services ? Aucune idée, mais le résultat final ne change de toute façon rien : kaput elle est bel et bien, et avec elle nos chances d'accéder facilement et simplement jusqu'aux châteaux. Nous découvrons le problème à 9h20. Notre visite de Hohenschwangau est prévue pour 10h05. Stress.
Un problème et une solution à la fois. Comme nous ne connaissons ni les arrêts ni les horaires des bus, nous nous rabattons sur un taxi pour nous conduire aussi rapidement et aussi haut que possible sur le site, histoire de nous éviter les 20 minutes de marche qui mènent normalement du parking visiteurs à Hohenschwangau. Nous parvenons à faire le trajet en un temps record (même si l'inhalateur est de sortie, car la pente est raide) et arrivons devant le château avec 10 bonnes minutes d'avance. Le temps de la visite, nous refusons de seulement penser à la voiture et aux démarches qui nous attendent une fois sortis...
Hohenschwangau, initialement appelé Schwanstein, ne fait techniquement pas partie des châteaux de Louis II de Bavière. C'est en réalité une réalisation de papa, Maximilien II, qui tomba un jour sur les ruines lors d'une randonnée et décida de redonner à ces vieux cailloux médiévaux leur cachet d'antan. Il le fit donc transformer en résidence d'été néo-gothique, où les Wittelsbach du 19e venaient passer leurs vacances entre pêche et rando dans un cadre à couper le souffle. Le château a servi jusque dans les années 1910, et l'ascenseur installé pour le prince régent Luitpold, qui se déplaçait en fauteuil roulant sur la fin de sa vie, tranche bizarrement avec le mobilier à faire pleurer William Morris de jalousie et le décor de fresques relatant les aventures du Chevalier au Cygne (pour la référence à Schwanstein), la naissance de Charlemagne et diverses légendes germaniques. Ce délire-là, Louis II n'en est pas responsable, mais lorsqu'on passe toutes ses vacances dans un environnement pareil, il n'est pas étonnant qu'on finisse par avoir envie de bâtir sa propre version en plus grand, plus fou, plus tout.
Après 30 minutes de parenthèse enchantée dans ce château magique, qui fleure bon un Moyen-Âge chevaleresque n'ayant probablement jamais existé, nous revenons à la triste réalité et à nos problèmes de voiture. Pendant que Benjamin contacte l'assurance (merci le roaming) et rejoint le centre-ville en bus, je gère le stress selon la méthode approuvée par les femmes depuis la nuit des temps : en faisant du shopping. Il nous fallait des livres contenant des photos des intérieurs des châteaux de Louis II, et désormais, nous les avons. Un dépanneur avec des pinces crocodile plus tard, Benjamin parvient à faire parcourir à la voiture les quelques kilomètres qui la séparaient du parking des châteaux, et nous poursuivons la visite du site en croisant les doigts pour que tout se passe bien lors de notre départ ce soir.
En attendant notre visite de Neuschwanstein, prévue pour 17h10 (oui, tout est minuté), nous avons largement le temps de découvrir le Musée des rois de Bavière posé juste en face de l'Alpsee. Très riche en informations, celui-ci permet d'en apprendre davantage sur les Wittelsbach dont les châteaux précédents nous ont pour l'instant peu parlé, à savoir le prédécesseur de Louis II, son père Max II (qui encouragea le retour au costume traditionnel pour les Bavarois ; si vous trouvez que le Dirndl et le Lederhose sont un peu clichés, c'est à lui qu'il faut le remonter), et ses successeurs immédiats, notamment le prince régent Luitpold. La famille existe encore aujourd'hui, et même si tous ces beaux châteaux sont techniquement la propriété de la Bavière, elle touche toujours une petite partie des revenus astronomiques que génèrent les visites. A la fin du 19e siècle, les folies architecturales de Ludwig ont vidé les caisses de l'état. Aujourd'hui, elles les remplissent largement...
Nous qui pensions que la pente menant à Hohenschwangau était un peu raide, nous en sommes quittes pour laisser un demi-poumon chacun sur la route menant à Neuschwanstein (mais cette fois, nous avons amplement le temps). Louis II n'y est pas allé de main morte en voulant percher son château de rêve à 925 m d'altitude... Mais le trajet à lui seul vaut le coup, car la vue sur la vallée est absolument superbe, pour ne rien dire de la "carte postale en vrai" que représente Neuschwanstein lui-même. Et depuis le Marienbrücke, le pont à suspension en fer garanti 100 % d'époque, le château est tout bonnement à couper le souffle. Au final, même si nous avons apprécié tous les châteaux que nous avons visités jusqu'à présent, c'est pour lui que nous avons fait le déplacement, et nous ne sommes vraiment pas déçus du voyage.
A l'intérieur, c'est un véritable rêve éveillé. Herrenchiemsee était là pour que Louis II puisse jouer à Louis XIV ; Linderhof, pour qu'il joue à Siegfried, à Tristan, à Tannhäuser ou à n'importe quel autre personnage de Wagner ; Neuschwanstein, lui, était là pour qu'il jouer à être son propre saint patron, Louis IX, ou Perceval, ou une représentation idéalisée d'un chevalier sans peur et sans reproche qui trouve le Graal à la fin. En 2023, l'homme serait un atout de poids dans une troupe de GN, autour d'une table de jeu de rôle, ou même en tant qu'auteur de fantasy. Dans les années 1880, il n'avait pas d'autre choix que de faire construire une grotte dans ses appartements privés, de peindre les murs aux couleurs de ses légendes préférés et de faire construire des chaises ressemblant à des trônes gothiques. Un véritable décor de théâtre pour super-nerd à une époque où ce mot n'existait pas, et une visite exceptionnelle pour ces deux touristes qui savent reconnaître une âme sœur quand ils en voient une.
La descente est forcément plus simple et plus rapide que la montée, mais une fois revenus à la voiture, nous devons nous rendre à l'évidence : encore une fois, la batterie ne repartira pas sans un coup de pouce. Pour l'assurance, le plan consistait à passer une nuit supplémentaire à Füssen et faire remorquer la voiture jusqu'à un garage pour remplacer la batterie demain. Le dépanneur n'est pas de cet avis, et une fois la batterie relancée, il nous conseille de prendre la route pour Augsbourg, comme prévu dans notre programme, pour faire le nécessaire là-bas. C'est donc avec beaucoup d'appréhension et en redoutant le moindre allumage de phares ou de clignotant que nous parcourons les 100 km qui nous séparent d'Augsbourg et de l'appartement de notre ami Amaury, chez qui nous avions prévu de loger ce soir. Titine a été bien vaillante jusqu'ici, mais elle n'ira pas plus loin sans une batterie neuve...
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