mardi 2 juin 2015

Malte, jour 11 - Les Trois Cités

Pour notre dernière étape, nous partons ce matin pour les "faubourgs" de La Valette, communément appelés les Trois Cités (même si nous n'allons en voir que deux). En gros, si vous regardez les photos d'hier prises depuis les Barraca Gardens, nous sommes aujourd'hui de l'autre côté du port.

Nous commençons par la plus grande des Trois Cités, et aussi la plus chargée historiquement : Vittoriosa. C'est ici, alors que le coin ne s'appelait encore que Birgù, que les chevaliers (toujours eux) se sont établis à leur arrivée à Malte en 1530, et ici qu'ils sont restés jusqu'à la fondation de La Valette après le Grand Siège. Du coup, les souvenirs de leur passage sont nombreux et carrément imposants. Il y a d'abord le fort St Ange, qui joua un rôle important pendant le Siège mais qui est actuellement en travaux pour une ouverture au public à la fin de l'année. Il y a ensuite, concentrées dans quelques rues au centre de la ville, les auberges des chevaliers. Pour les repérer, ce n'est pas compliqué : plus le bâtiment est massif et carré, plus il a de chances d'avoir servi de caserne-couvent. Et puis surtout, il y a des plaques dessus... avec les noms en français. Allez comprendre.



A quelques pas des auberges, on trouve le Palais de l'Inquisiteur. Le bâtiment abrita d'abord le tribunal des chevaliers avant de devenir le siège de l'Inquisition romaine à Malte. Il a fallu attendre l'arrivée de Napoléon sur l'île pour que l'institution soit démantelée (comme quoi, l'invasion française aura au moins servi à quelque chose). La visite aura eu le mérite de nous apprendre quelque chose : l'Inquisition romaine n'a rien à voir avec l'Inquisition espagnole. Ici, le nombre de gens torturés en deux siècles et demi se compte sur les doigts des deux mains, et les condamnations à mort ont été encore moins nombreuses. Les accusés avaient droit à des avocats, la santé et l'hygiène des prisonniers étaient très importantes et l'Inquisiteur cherchait avant tout à vérifier la véracité des accusations. On est très loin de la boucherie espagnole et du bûcher quasi-automatique. A Malte, même les soi-disant "sorcières" s'en sortaient avec une simple obligation de se confesser toutes les semaines pendant cinq ans. Comme quoi, la religion catholique peut encore nous surprendre.


La salle du tribunal

Au niveau du bâtiment lui-même, on peut découvrir les cellules des prisonniers et leur système de sanitaires (si si), la salle du tribunal, les appartements de l'Inquisiteur (deux d'entre eux ont tout de même fini pape) et une riquiquite salle de torture. Le plus intéressant reste quand même les panneaux explicatifs qui reproduisent des lettres de dénonciation, les différentes punitions infligées aux coupables (du régime pain sec et eau pendant quelques jours aux années de galères) et les cas célèbres, comme celui qui impliqua le Caravage. L'Inquisition version soft, quoi. Pour la version gore, il faudra changer de pays.

Après ce petit tour de Vittoriosa, et parce que nous avons pas mal de temps devant nous avant une certaine visite programmée à 14h, nous revenons sur nos pas (ou plutôt sur nos traces de pneus) pour nous arrêter à Senglea, deuxième des Trois Cités. La ville ayant été pratiquement rasée pendant la Seconde Guerre mondiale, il n'y a pas grand-chose à y voir, mais le jardin de Safe Haven, tout au bout du bout de la pointe nord, offre une très belle vue sur La Valette, le fort St Elme et le fort St Ange. Les yachts et voiliers de luxe amarrés dans le port forment un drôle de contraste avec les vieilles pierres !



Direction ensuite le fort Rinella, tout près de Vittoriosa. Oubliez les histoires de chevalerie, ce fort-ci a été construit par les Britanniques en 1878 pour protéger Malte de la flotte italienne. Il abrite le plus gros canon à chargement par la bouche de l'Histoire, un monstre de 100 tonnes capable de tirer à une distance de 8 miles. Notre guide touristique nous conseille d'y aller à partir de 14h, et il y a de bonnes raisons pour ça.

Partiellement détruit pendant la guerre, le fort est maintenant aux mains d'une association de passionnés qui rêvent de tout reconstruire et, accessoirement, de rétablir le système hydraulique de leur énorme canon tel qu'il était au 19è siècle. Pour réaliser ce projet un peu dingue, il faut des sous ; pour avoir des sous, il faut attirer le visiteur ; et pour attirer le visiteur, rien de tel que des volontaires en costume historique pour vous expliquer comment marchait le fort sous la férule des Britanniques.



Dès notre arrivée, nous avons droit à une présentation des différentes armes blanches utilisées sur les champs de bataille (nous n'utiliserons plus jamais le mot "épée" de façon abusive, promis !), ainsi qu'à une démonstration de combat au sabre. Pour se faire sa propre idée, on a le droit de toucher et de faire joujou avec les armes tant qu'on n'embroche pas quelqu'un, et les volontaires ultra motivés sont là pour répondre à toutes les questions. Après la pause déjeuner de tout le monde, y compris des acteurs, c'est parti pour le début de la visite "officielle". Pendant deux heures, nous avons droit à des démonstrations de drill militaire, à des exercices de cavalerie (les chevaux sont des poneys de polo à la retraite, et l'un d'entre eux à tourné dans Gladiator !) et à des tirs au fusil et au canon (pas le très très gros, celui-ci ne sert qu'une fois l'an).



La meilleure solution pour faire entrer de l'argent dans les caisses est de proposer aux visiteurs de participer à tous ces jeux de guerre moyennant un petit supplément... et nous n'avons pas su résister. Fusil Martini-Henry authentiquement victorien pour moi, canon naval de 24 livres pour Benjamin. Pour les amoureux des chevaux, il y a même la possibilité de les parrainer. C'est un véritable parc d'attractions pour grands enfants et l'enthousiasme des volontaires (qui sont à la fois soldats d'infanterie, servants d'artillerie, cavaliers, grooms, caissiers, cuisiniers et guides touristiques) est carrément contagieux. On leur souhaite vraiment de réussir dans leur projet !

Dernières photos du séjour !

Et les vidéos qui vont avec : Benjamin et son canon d'un côté, Tiphaine et son fusil de l'autre.

Notre voyage en terre de chevaliers touche à sa fin. Pour le coup, nous avons été beaucoup plus dépaysés que prévu : Malte est un vrai carrefour des civilisations et les différentes influences se font encore bien sentir aujourd'hui. En plus, c'est un pays où les chats sont rois. Ouverture, melting-pot et amour des félins : que demander de plus ?

lundi 1 juin 2015

Malte, jour 10 - La Valette

Pour la première fois (me semble-t-il) depuis le début de nos pérégrinations de par le monde, nous n'avons pas commencé notre séjour par la capitale. La Valette, nouvelle capitale de Malte après la destruction de l'ancienne lors du Grand Siège de 1565, c'est donc pour aujourd'hui, sous un soleil qui tape dur. J'espère que vous aimez les chevaliers, parce qu'on ne va parler pratiquement que de ça !

Après avoir garé notre voiture hors les murs (on ne peut entrer dans La Valette en voiture que si on y réside), nous commençons par LE site touristique de Malte, celui où tout le monde s'arrête et où les groupes se marchent dessus : la co-cathédrale St Jean (le Baptiste, celui qui a fini avec une tête en moins et donne son nom aux Chevaliers de Malte de l'Ordre de St Jean de Jérusalem). Alors. Comment dire... A l'instant où on pose l'orteil sur le seuil de la cathédrale, on comprend pourquoi les touristes s'y déversent par cars entiers. En fait, les mot nous manquent pour décrire le lieu. Nous sommes même tellement sidérés que nous restons les bras ballants à l'entrée pendant cinq minutes avant de nous rappeler qu'il faudrait faire quelques photos.



Cette cathédrale est l'église la plus spectaculaire que nous ayons jamais vue. Nous ne sommes pas encore allés à Rome, donc le podium peut changer dans les années à venir, mais pour l'instant, St Jean est sur la première marche, et de très loin. Prenez le bling des églises baroques que nous avons visitées à Malte jusqu'à présent, multipliez par le pouvoir et la richesse des Hospitaliers, et vous obtenez ce résultat. Pas un centimètre carré qui ne soit dans un matériau précieux ou recouvert d'or. La voûte est intégralement peinte. Le pavement se compose de 374 pierres tombales. Les chapelles réservées aux différentes langues de l'Ordre (Allemagne, Italie, France, Auvergne, Provence, Aragon, etc.) rivalisent de peintures de leurs saints patrons et de monuments funéraires à la gloire des différents Grands Maîtres. C'est tout simplement inouï de luxe et de richesse. Ahurissant.



Et comme si cela ne suffisait pas, il y a le musée qui va avec. Les photos étaient interdites, et ça peut se comprendre : moi non plus je ne voudrais pas qu'on prenne de photos chez moi si j'exposais des originaux du Caravage... A côté de ça, les tapisseries flamandes d'après des cartons de Rubens et les vêtements sacerdotaux brodés de fil d'argent légués par les Grands Maîtres font presque figure de détail !


La Décollation de St Jean-Baptiste, par le Caravage
Parce que ça en vrai et en grand, c'est beau...

Après la catégorie "ordre religieux", nous passons à "ordre militaire". Le palais des Grands Maîtres des Hospitaliers abrite une armurerie bien fournie qui permet de faire le tour de tout ce dont les chevaliers se sont équipés depuis le 16è siècle pour faire très mal aux infidèles d'en face. La collection d'arbalètes, d'épées, d'armures et de canons est très impressionnante. Et contrairement à l'armurerie que nous avions visitée à Vienne, où les rares explications étaient en allemand, l'audio-guide est en français et nous permet de comprendre à quel type d'arme nous avons affaire. Les éléments les plus drôles restent ces casques qu'on dirait sortis d'un film de SF des années 50, et les armures toutes bosselées d'avoir été testées contre des balles de mousquets.



Dans le même palais, qui fut autrefois le QG des Hospitaliers et dont un bout abrite aujourd'hui les bureaux présidentiels, on trouve les salles d'apparat de l'Ordre. On découvre ainsi la chambre du Conseil, très sombre et interdite aux photos pour protéger les tapisseries qui l'ornent, la salle du Trône (carrément) avec ses fresques relatant le Grand Siège, et le salon des Ambassadeurs, dont le décorateur était obsédé par le rouge. Mais ce qui impressionne surtout, ce sont les couloirs. C'est sans commune mesure avec la co-cathédrale, bien sûr, mais ici aussi, tout est peint (y compris ce qui aurait pu être sculpté) du sol au plafond. Avec les armures le long des murs, on est carrément dans l'ambiance.



Après un déjeuner rapide à base de panini maltais, nous courons littéralement à la Casa Rocca Piccola pour assister à la visité guidée de 13h. La maison appartient à une trèèèèès vieille famille de l'île, les marquis de Piro, qui y vivent d'ailleurs encore aujourd'hui (il arrive même que monsieur le marquis fasse le guide). Comme chaque membre de la famille à travers les années s'est mis en tête de collectionner des choses différentes, c'est un peu une maison-musée qu'on découvre : il y a des tableaux modernes, des pièces de jeu d'échecs, des cannes, des miniatures en argent... Il y a aussi et surtout des meubles ramenés d'Italie (la famille de Piro est de là-bas à l'origine), des horloges à une seule aiguille, des chandeliers de Murano, des abris anti-aériens construits pendant la dernière guerre pour abriter la famille et les voisins... et Kiku, un joli perroquet bleu et jaune, qui ne parle pas beaucoup mais qui fait le beau pour les photos. Monsieur le 9è marquis de Piro (Nicholas de son prénom) a beau avoir un sacré titre, la plus jolie maison de La Valette et le 06 d'Elizabeth II, c'est un homme tellement normal qu'il vous demande à la fin de la visite si vous avez apprécié ce que vous avez vu, vous explique que sa maison "relique" doit être préservée et vous demande si vous voulez tenir son perroquet. Merci, mais non merci, je ne veux pas d'un bec pareil à proximité de mes doigts !


La salle à manger d'été

Après cet intermède quasiment sans chevalier (le marquis en est un, même s'il y a beaucoup moins d'armure aujourd'hui), retour dans le vif du sujet avec le fort St Elme. Lors du Grand Siège, il fut défendu pendant un mois par 1 500 Hospitaliers face à 40 000 Ottomans avant de tomber. Lesdits Ottomans ayant ensuite subi un méchant revers, perdu les trois quarts de leur armée et finalement tourné casaque, l'honneur est sauf. Nous ne sommes que le 1er juin, et à cette heure de la journée, le fort est écrasé de soleil ; on ose à peine imaginer ce qu'ont dû subir des gars en armure en plein mois d'août...

Nous faisons ensuite un détour par les Lower et Upper Barraca Gardens, de rares oasis d'ombre et de fraîcheur dans une La Valette qui cuit sous le soleil. Avec leurs fausses ruines de faux temple romain, leurs fontaines et leurs arcades qui donnent sur les Trois Cités, de l'autre côté du port, ce sont de petits jardins du 18è très reposants, aménagés au-dessus des fortifications. Tout ce vert détonne un peu au milieu d'une ville toute en calcaire, mais c'est vraiment très joli.


Lower Barraca Gardens

Pour terminer notre journée thématique, nous passons devant l'auberge de Castille, de Leon et du Portugal. Les auberges, pour les Hospitaliers, sont en fait des "casernes-couvents", et ce concept est tellement génial qu'on se demande pourquoi on est allé chercher un autre nom. Les chevaliers s'y réunissaient selon leur langue, car à l'époque, c'était plus important que la nationalité (rappelons qu'on parlait espagnol aux Pays-Bas). Cette auberge de Castille, qui ne se visite pas car elle abrite aujourd'hui les bureaux du Premier ministre, devait rendre les autres langues de l'Ordre très jalouses...



Fin de l'exploration pour aujourd'hui. Pas peu fiers de notre marathon, nous faisons une pause pour déguster un sorbet (enfin, six dans le cas de Benjamin ; quelle idée de proposer un nombre illimité de parfums dans une même coupe de glace !), puis nous rentrons à notre hôtel à Sliema. L'Imperial Hotel, c'est l'incarnation de l'Empire britannique des années 30, ambiance Hercule Poirot en vacances. Ce soir, nous avons eu beaucoup moins de mal à y accéder ; hier, nous avons passé 20 bonnes minutes à tourner dans Sliema avant de seulement nous en approcher, car deux rues sur trois sont en sens interdit, ce qui complique un peu la circulation...