samedi 28 avril 2018

Châteaux de la Loire, jour 6 (semaine 2) - Montpoupon et Chenonceau

Fin du circuit "châteaux" aujourd'hui avec deux demeures que l'on classe d'office dans la catégorie des incontournables, quoique pour des raisons très différentes. Nous commençons par le château de Montpoupon, une résidence privée posée directement au bord de la route, au milieu d'un paysage particulièrement bucolique. C'est simple, où que l'on regarde, on ne voit que des champs et des forêts, et le village le plus proche se trouve à 3 km. Points bonus pour le décor, donc. La bibliothèque et la chapelle situées dans la poterne annoncent la couleur : nous allons avoir droit à de belles reconstitutions !


Au 19è siècle, le château passe aux mains de la famille de la Motte Saint-Pierre et connaît son heure de gloire entre les années 1920 et 1930. Le capitaine de la Motte Saint-Pierre a eu la chance de rentrer chez lui après la Grande Guerre et a profité des Années Folles pour doter Montpoupon de tout le confort moderne. La visite sonorisée (les commentaires se déclenchent tout seuls quand on entre dans une pièce, magie de la technologie) nous fait donc découvrir un château résolument début XXè, avec son lot de costumes d'époque et de nécessaires de voyage dignes d'un roman d'Agatha Christie. Dans un autre genre, les pièces d'inspiration plus Renaissance sont elles aussi de petits bijoux de reconstitution. Franchement, on en redemande !


Et ça tombe plutôt bien, puisque la visite ne s'arrête pas là. Après un détour par les superbes cuisines, un petit circuit pédagogique de 1 km dans la forêt nous permet de réviser nos feuilles d'arbres. Et nous sommes sacrément mauvais, puisqu'à part l'érable palmé (trop facile à reconnaître pour cause de drapeau canadien), nous enregistrons un zéro pointé. C'est un peu mieux du côté des empreintes d'animaux, mais il reste tout de même du boulot !

Quand il n'y en a plus, il y en a encore : une fois de retour au château, la visite continue avec le musée de la vénerie, situé dans les communs. Montpoupon était autrefois un haut lieu de la chasse à la courre, et même si l'équipage du château n'existe plus, la tradition reste très ancrée. Même pour les fervents anti-chasse que nous sommes, la collection sidérante de redingotes, boutons de vénerie, photos, cartes postales et dessins amassée par la famille est extrêmement impressionnante. Comme si cela ne suffisait pas, on peut également découvrir des reconstitutions du logis du maître veneur, de celui du piquier, d'une sellerie traditionnelle ou d'un atelier de taxidermie, le tout au son des trompes de chasse. Le musée est d'une richesse incroyable et donne l'impression de ne jamais finir. Pour la petite blague, les toilettes sont installées au niveau des anciennes écuries et il suffit de lever les yeux pour voir les noms des chevaux toujours aux murs !


Moralité : encore un petit château qui joue dans la cour des grands. Ça devient une habitue et une fois de plus, on ne peut que conseiller le détour !

Pour bien boucler la phase "vieilles pierres" du séjour, nous passons à un très gros morceau : le château de Chenonceau. Nous avons appris pendant le séjour qu'il s'agissait du château le plus visité du Val de Loire, ce qui nous a surpris, mais ce que la taille du parking semble attester : non seulement il occupe bien la moitié du village de Chenonceaux (le château ne prend pas de x, mais le village, lui, en a bien un ; allez savoir pourquoi), mais en plus, il est quasiment plein. Nous sommes bien contents d'être venus en avril, parce qu'en été, l'endroit doit se transformer en usine.


Le nombre d'anecdotes historiques concernant Chenonceau pourrait remplir un bottin entier. Bâti à partir de 1515, il a vu se succéder les propriétaires (féminines) de renom, à commencer par Diane de Poitiers et Catherine de Médicis, respectivement favorite et régulière d'Henri II, qui se sont légèrement crêpé le chignon à son sujet (Catherine finit par le récupérer à la mort d'Henri, en échange du château de Chaumont, de valeur techniquement supérieure mais que Diane détestait). Seul château-pont au monde, il servit d'hôpital pendant la Première Guerre mondiale, et de plaque tournante de la Résistance pendant la Seconde : les Allemands ayant utilisé le Cher comme zone de démarcation, le château lui-même était en zone occupée, tandis qu'au bout du pont, on était en zone libre... Et accessoirement, c'est toujours une demeure privée. Ça, c'est sans doute la plus grande surprise !


A l'intérieur, on enchaîne trois niveaux de salles 100 % Renaissance aux plafonds sublimes (les solives apparentes au chiffre d'Henri II et Catherine de Médicis, ça fait toujours son petit effet), aux tapisseries monumentales, aux tableaux de maître... et aux compositions florales époustouflantes. Le château est apparemment connu pour ça et dispose d'un atelier et d'un "potager de fleurs" dédiés. Vu qu'il y en a dans toutes les pièces, qu'elles sont changées presque quotidiennement et qu'elles doivent s'adapter à la couleur de la pièce, à la saison et au thème en cours, c'est plus que justifié ! Même les compositions les plus "modernes" arrivent à se fondre dans le décor et on ne peut qu'être impressionné par le talent des jardiniers. Et comme on sait qu'au moins une lectrice de ce blog sera particulièrement intéressée, on les a toutes photographiées. L'album photos du jour est un brin dense...


Nous n'avons pas vu le soleil de la journée, mais les quelques gouttes qui menaçaient à notre arrivée ont disparu et nous pouvons profiter des très beaux jardins bien au sec. Le "problème" de Chenonceau, c'est qu'entre les jardins et le pont qui enjambe le Cher, on ne sait plus vraiment où donner de la tête ! Le château des Dames est assez unique en son genre d'un point de vue architectural, et on a envie de l'immortaliser sous toutes les coutures. Outre les deux jardins "principaux", Chenonceau compte également une ferme du 16è siècle peuplée d'oies à tête barrée (on ne connaissait pas, mais c'est une jolie espèce), un labyrinthe, des caryatides, un parc des ânes et le fameux "potager des fleurs" évoqué un peu plus tôt. Seule déception, les fleurs en question sont presque toutes mortes sur pied et le potager est un peu triste. Décidément, depuis ce matin, les châteaux sont comme le sac de Mary Poppins : on n'en voit pas la fin (au sens positif du terme, évidemment) ! En tout et pour tout, il nous aura fallu trois heures pour explorer tous les recoins de Chenonceau. Il faut bien ça pour le château le plus célèbre du Val de Loire.


Par ici pour un album bien rempli !

Cette semaine de vacances se termine ici. Nous avions prévu de la conclure de façon moins culturelle en nous rendant au zoo de Beauval ce dimanche, mais la météo est trop mauvaise et nous décidons de reporter la visite à un autre jour. Nous sommes un peu déçus, mais il aurait été encore plus décevant de subir la pluie toute la journée et de manquer la moitié des animaux (pas sûre que les lions soient très fans de toute cette mouille qui tombe du ciel). Ce n'est que partie remise !

Si les grands châteaux de la Loire sont incontournables, nous avons pu nous rendre compte cette semaine que ceux qui se cachent hors des sentiers battus valent parfois davantage le déplacement. On n'y parle peut-être moins de l'Histoire de France, mais les histoires de famille se révèlent tout aussi intéressantes et infiniment plus chaleureuses. Les châteaux à taille humaine nous séduisent plus encore que leurs homologues connus dans le monde entier et mériteraient qu'on leur accorde plus d'attention, ne serait-ce que pour récompenser les efforts que ces particuliers déploient pour entretenir leur chez-eux.

vendredi 27 avril 2018

Châteaux de la Loire, jour 5 (semaine 2) - Loches et Montrésor

On prend pratiquement les mêmes et on recommence : ce matin, nous partons pour l'autre cité médiévale du Val du Loire, Loches, à une petite heure de route de Chinon. Si c'est là-bas que Jeanne a "reconnu" Charles au milieu de ses courtisans, c'est ici qu'elle lui a soufflé qu'il serait peut-être temps de prendre la route de Reims, histoire de se donner une légitimité. C'est également ici que Charles, enfin devenu VII, installa la première favorite officielle de l'Histoire de France, une certaine Agnès Sorel. Entre la Pucelle et la favorite, c'est un peu le grand écart (sans mauvais jeu de mots...).

La collégiale Saint-Ours

Après avoir présenté nos respects à la dame de Beauté, dont le gisant et le tombeau se trouvent dans la collégiale Saint-Ours (pas sûre qu'un officier d'état civil accepterait un nom pareil de nos jours), nous commençons la visite par les logis royaux... dont la scénographie est actuellement en cours de modification. Les intérieurs sont donc fermés à la visite pour un bon moment, mais quand on a visité Chinon la veille, ce n'est finalement pas très grave. On se contente de la vue que les terrasses des logis offrent sur la ville, et on en profite d'autant plus que la météo reste au beau fixe malgré le vent. Même punition du côté du donjon : deux des tours annexes sont inaccessibles, mais très franchement, après toutes les marches d'hier, ce n'est pas plus mal ! Le gros de la visite, le donjon de 36 mètres, est suffisamment violent pour les mollets. Pour rendre toute cette masse un peu moins écrasante, un petit jardin d'inspiration médiévale a été créé au milieu des tours. C'est petit, mais c'est mignon - et ça permet d'oublier un instant que le donjon fut une prison jusqu'en 1926. Pour la minute WTF, l'ouverture à la visite s'est faite en 1910. Prisonniers inclus dans le prix du billet !


La pause déjeuner est suivie d'une petite balade digestive dans la ville médiévale, avec ce que cela implique de petites ruelles, de jolies façades et de portes d'enceinte sacrément mastoc. En début d'après-midi, direction le château de Montrésor, qui porte particulièrement bien son nom. L'extérieur ne paie pas de mine (il y a des châteaux privés autrement plus spectaculaires en Val de Loire !), mais à l'intérieur, c'est une autre histoire. Le château, qui remplace la forteresse d'origine voulue par Foulques Nerra (comte d'Anjou, fondateur de la lignée des Plantagenêt et obsédé des donjons, qui en a fait construire partout dans la région), a été racheté au milieu du 19è par un comte polonais en exil, Xavier Branicki. On ne connaissait pas non plus, mais on parle quand même du fondateur du Crédit Foncier de France, un bonhomme dont les ancêtres avaient participé à la bataille de Vienne, qui descendait en droite ligne de la Grande Catherine, avait l'oreille de Napoléon III et accueillait chez lui tout ce que la France comptait d'exilés polonais. Oui, Chopin s'est donc assis au piano, et a même composé une valse pour la belle-sœur du comte, dont il était tombé amoureux. Ça pose le niveau.


L'intérieur de Montrésor n'a pas bougé depuis la fin du 19è siècle et le fascicule de visite égrène les petites merveilles comme un catalogue de musée : le sublime escalier en acajou vient de l'Exposition Universelle, il y a un vrai Véronèse et un vrai Filippino Lippi, des pièces d'orfèvrerie issues du trésor royal polonais, de la vaisselle sauvée des Tuileries, un meuble ayant appartenu aux Médicis, la selle "vert Mahomet" d'un dignitaire turc récupérée lors de la fameuse bataille de Vienne, et surtout, surtout, près d'une dizaine de portraits de membres de la famille Branicki et de leurs copains polonais particulés peints par Franz-Xaver Winterhalter (bon, ce sont des copies, mais ça compte quand même). La dernière fois qu'on a vu autant de Winterhalter rassemblés dans un même endroit, c'était à Buckingham Palace. La surprise est de taille et je suis sur un petit nuage. (Pour remettre les choses dans leur contexte, j'ai quatre passions picturales dans la vie : la Renaissance florentine, Vermeer, les Pré-Raphaélites et Winterhalter. D'où acte.)


Les salles magnifiques et les trésors hors de prix s'enchaînent (on n'ose pas imaginer le montant de l'assurance) et notre petit classeur-guide les commente de façon presque désinvolte, comme si tout ça était bien anodin et que tout le monde possédait un portrait de l'arrière-grand-mère par Winterhalter. Plus encore que cette succession de merveilles, c'est la "normalité" de leur présentation qui nous frappe : chez les Branicki, la classe et le bon goût faisaient partie de la vie de tous les jours, et leurs descendants ne font pas davantage de chichis. Nous sommes complètement soufflés par la visite, et si vous passez dans la coin, nous la recommandons les yeux fermés. Le tour du domaine se termine sur un petit belvédère qui domine l'Indrois et Montrésor, l'un des "plus beaux villages de France", avec ses petites ruelles et ses jardins privés tout en longueur qui mènent à la rivière. Encore une fois, on a bien fait de s'éloigner un peu des sentiers battus !


Retour sur Loches pour la nuit. La journée aura été courte, mais on a une fâcheuse tendance à oublier que les vacances sont censées être faites pour se reposer...

jeudi 26 avril 2018

Châteaux de la Loire, jour 4 (semaine 2) - Le Rivau et Chinon

C'est sous un soleil retrouvé que nous attaquons les visites du jour... et ce genre de météo est plutôt appréciable quand on a prévu de passer la plus grande partie de la journée en extérieur. Nous avions pensé commencer par la forteresse de Chinon, mais puisque le château du Rivau se trouve sur notre route depuis Fontevraud, c'est là que nous nous arrêtons en premier.


Pour vous faire une idée de ce qu'on ressent en parcourant les jardins et le château du Rivau, pensez Alice au Pays des Merveilles : la visite est un véritable trip sous acide, entre grand n'importe quoi et génie complet. Parce qu'il faut bien se démarquer dans un Val de Loire où on compte un château tous les 5 km, les propriétaires (avec qui on aimerait bien échanger quelques mots autour d'un petit chinon) ont divisé leur domaine en 14 micro-jardins sur le thème des contes de fées et invité des artistes à exposer leurs œuvres en plein air. On passe ainsi des bottes en caoutchouc et de l'arrosoir géants au labyrinthe Alice, justement, des arbres dotés de grosses jambes rouges à la volière coiffée d'un phœnix, et du jardin des nains politiques au carré des sorcières, avec ses plantes malfaisantes ou plus bénignes. Ajoutez à cela la présence d'un paon blanc sur le domaine, et on finit vraiment par se demander quelle genre de drogue a pu se glisser dans notre thé et nos scones de ce matin. C'est totalement improbable et hallucinant, mais on s'amuse comme des petits fous.


A l'intérieur, le trip continue, cette fois sur le thème "La Beau, la Belle et la Bête". C'est difficile à croire, mais le délire est encore plus intense que dans les jardins. Des œuvres ultra-modernes se sont glissées au milieu des meubles Renaissance, et on a parfois du mal à faire la différence. Des diablotins en lunettes de soleil nous espionnent sur le bord des fenêtres et tel portrait qui paraît totalement inoffensif de loin n'a en fait rien d'historique. Formidable tranche de rigolade dans la salle des chasses, où les artistes se sont complètement lâchés et où les trophées absurdes côtoient les vrais de façon (presque) naturelle. La salle consacrée à Jeanne d'Arc est un autre sommet de loufoquerie, avec sa Pucelle en version tatouée ou couverte de plumes. L'art moderne, ce n'est vraiment pas notre truc (je crois l'avoir assez répété), mais il lui arrive de nous laisser un excellent souvenir.


Léger changement de décor avec la forteresse de Chinon, juchée tout là-haut sur son éperon rocheux, face à la Vienne (en Indre-et-Loire. Ahem). Si nous avons tous entendu parler de cette place forte à l'école pour cause de Jeanne d'Arc, ce fut surtout le château préféré de Henri II Plantagenêt et le théâtre d'un siège mémorable entre 1204 et 1205, à l'issue duquel Philippe Auguste rattache l'Anjou et la Touraine à la France. C'est que le bonhomme commençait à en avoir assez que l'Anglais et son meilleur copain le Bourguignon se moquent de lui... Finalement, commencer la journée par le Rivau aura été une bonne idée, car nous pouvons profiter des animations de l'après-midi. On attaque par une visite guidée, menée par un guide qui aime tellement les anecdotes (et les petites blagues, preuve que tous les Benjamin de la terre sont de petits rigolos) qu'il dépasse allègrement la durée d'une heure prévue. C'est l'occasion d'apprendre plein de détails que la visite multimédia (au demeurant très bien conçue) ne précise pas, comme l'art de curer les latrines ou comment mettre en scène un "miracle" quand une gamine de 18 ans vient vous annoncer que des voix dans sa tête lui commandent de bouter l'Anglais hors du royaume*. Culture + rigolade, c'est comme ça qu'on devrait enseigner l'Histoire !


Une fois la partie éducative bouclée, place aux démonstrations militaires sur les modèles taille un tiers de trébuchet et de bricole exposés dans la cour. Entre âme d'ingénieur et âme de petit garçon, Benjamin est ravi de pouvoir admirer le trébuchet en action, et plus encore de voir le château en bois servant de cible tomber sous le coup de "boulet". La guerre est toujours gagnée par des matheux et celui qui a étalonné le bébé trébuchet a bien fait son travail ! Il ne nous reste plus ensuite qu'à visiter les nombreuses tours qui jalonnent la forteresse, dont celle qui servit à emprisonner les Templiers avant leur procès (Jacques de Molay en personne est passé entre ces murs), qui offrent une très jolie vue sur la ville médiévale, la Vienne et les vignes alentour. Avec toutes ces marches, on culpabilise beaucoup moins de zapper la salle de sport pendant une semaine...


L'heure étant déjà bien avancée (et nous qui pensions que la journée serait courte !), nous décidons d'aller poser les valises et nos gambettes fatiguées à l'hôtel, puis de repartir explorer les ruelles du Chinon médiéval avant le dîner. En fait de ruelles, les vieilles façades se concentrent surtout dans la rue Voltaire, entre restaurants, boutiques de livres anciens et antiquaires. Après ce petit état des lieux, il ne nous reste plus qu'à trouver un restaurant où déguster un bon chinon, et la journée aura été bien remplie !


Suivez le paon blanc !

*Jeanne reconnaissant miraculeusement un Charles pas encore VII déguisé au milieu de 300 personnes ? Du pur pipeau, que l'on joue encore à tous les écoliers de France et de Navarre. La Pucelle de Domremy avait en fait rencontré le Dauphin en tout petit comité quelques jours avant, avant d'être examinée par des théologiens pour déterminer si ses voix étaient "réelles". Le reste, c'était de la poudre aux yeux...

mercredi 25 avril 2018

Châteaux de la Loire, jour 3 (semaine 2) - Ussé, Fontevraud et Brézé

Le temps estival ne pouvait raisonnablement pas durer tout le mois d'avril, et c'est sous un ciel franchement plombé que nous prenons la route de Rigny-Ussé pour le premier château du jour. Si cette ravissante demeure privée ressemble à un château de conte de fées, c'est normal : c'en est un ! C'est en effet là qu'un certain Charles Perrault mit en scène La Belle au bois dormant, bien avant que Disney ne s'inspire du château de Neuschwanstein pour l'adaptation en dessin animé, son logo et ses parcs d'attraction. Prends ça, Louis II de Bavière !


Les propriétaires ont fait les choses en grand et ont également ouvert au public leur superbe chapelle gothique-Renaissance, la sellerie et les caves troglodytes, peuplées de mannequins en plein pressage. On est dans une région viticole et on ne vous laissera pas l'oublier ! A l'intérieur, les châtelains ont fait le choix de se passer d'artistes contemporains et de mettre leur délicieux mobilier 18è en valeur avec des costumes allant de la Régence aux années 1930. Thème de cette année : les vêtements d'été (traduction, les femmes portent toujours douze épaisseurs de jupes, mais dans des tissus légers). Autant dire que la touriste qui entretient une légère passion pour les crinolines, les robes à tournure et les chapeaux cloche (= bibi) en a pour son argent !


Evidemment, quand on a accueilli La Belle au bois dormant, on est presque obligé de jouer dessus, et c'est exactement ce que les propriétaires ont fait : le chemin de ronde est bordé de reconstitutions de scènes du conte, avec mannequins supplémentaires et robes qui brillent à gogo, qui font complètement oublier de regarder le paysage à l'extérieur. La balade nous fait traverser un grenier aux vieilleries couvertes d'environ dix centimètres de poussière, qui donne l'impression que tout ça n'est guère plus qu'une maison bourgeoise familiale ayant un jour vu passer un auteur célèbre. Ussé est un château adorable, mais il n'est pas réputé pour ses jardins, et c'est tant mieux pour nous : la pluie vient nous rappeler que nous sommes censés ne pas nous découvrir d'un fil, et nous bien contents que les jardins soient petits. Le temps de faire quelques photos extérieures, et nous battons en retraite vers la voiture.

Fontevraud

Tous ces châteaux, c'est bien gentil, mais il n'y a pas que ça dans la région. Prochaine arrêt, donc, l'abbaye de Fontevraud, fondée en 1101 par un prédicateur breton super en avance sur son temps, qui voulait absolument en faire un ordre mixte, puis double, avec une femme aux manettes et des moines subordonnés aux moniales. Le concept d'égalité des sexes étant un peu révolutionnaires au 12è siècle, ça ne passe pas bien, mais le bonhomme tient bon, et l'abbaye passera aux mains de 36 abbesses différentes jusqu'à la Révolution. Girl power! Tout ce petit monde est mis dehors par les révolutionnaires, et en 1804, Napoléon fait main basse sur Fontevraud pour en faire une prison. Voilà pour la partie histoire.


Côté visite, nous sommes presque déçus de la sobriété des lieux, mais nous n'avions pas compté sur le fait que l'abbaye avait servi de "lieu de privation de liberté" jusque dans les années 1960. Les prisons ne sont pas exactement connues pour être des lieux riants et colorés... Mais il reste tout de même quelques beaux endroits à voir, comme la salle capitulaire, avec ses superbes peintures, ou les gisants de l'église. C'est que Fontevraud, en tant que nécropole des Plantagenêt, accueille du beau monde : Aliénor d'Aquitaine et son deuxième mari, Henri II d'Angleterre, Richard Cœur de Lion, et Isabelle d'Angoulême, épouse de Jean Sans Terre. C'était l'époque où France et Angleterre s'inter-épousaient allègrement et où cela n'entraînait pas de guerre de succession centenaire... Quant au cloître, c'est généralement l'endroit le plus joli de n'importe quel monastère, et celui-là ne fait pas exception à la règle. Surtout quand le soleil daigne enfin montrer le bout de son nez.

Selon notre programme, nous aurions dû nous arrêter là, mais une brochure récupérée par hasard à Ussé nous pousse à faire une escale supplémentaire au château de Brézé, à moins d'un quart d'heure de l'abbaye. On nous promet "un château sous un château", et il s'avère que ce n'est pas de la publicité mensongère ! Brézé est en fait la plus grande forteresse souterraine d'Europe, et il y a, sans exagération aucune, plus de choses à voir en dessous qu'au-dessus.


La visite ne permet de découvrir "que" 1,5 km de souterrains, mais ce sont en tout 28 000 m² de tunnels qui serpentent sous le château. Les seigneurs de Brézé étaient des monomaniaques de la sécurité et avaient mis en place un système de défense digne d'un épisode d'Indiana Jones, à base d'échauguettes, de bouches à feu et de meurtrières au fond des douves sèches de 18 m de profondeur. Sans compter les salles de la vie quotidienne d'un château largement troglodytique, entre écuries, boulangerie, magnanerie (là où on élevait les vers à soie) et... caves à vin, forcément. La balade au milieu des douves est une expérience unique et forcément impressionnante. On n'aimerait pas être à la place de la piétaille envoyée prendre la place !


Le dedans, avec les appartements du tonton évêque de la famille et la chambre dédiée à Richelieu, est beaucoup plus raffiné, mais malheureusement, les photos y sont interdites. Encore une belle découverte faite complètement par hasard ! On se demande comment le Routard a pu passer à côté, avant de réaliser que Brézé, comme Fontevraud, se trouve en Maine-et-Loire et que ce département n'est pas traité dans le guide. Il faut croire que la concentration de châteaux dans le coin est légèrement moindre que dans les départements voisins.

Retour à Fontevraud-L'Abbaye pour notre étape de la nuit. Ce soir, nous dormons "Chez Teresa", un petit bout d'Angleterre en territoire angevin. La façade de ce minuscule salon de thé/restaurant/brocante/maison d'hôtes à une seule chambre annonce la couleur : la déco est excessivement British (points bonus pour les reproductions préraphaélites aux murs) et on vous accueille en vous proposant a cup of tea. Ça tombe bien, il est 17h30 et je suis en sevrage de thé depuis trois jours ; le tea time et la bascule quasi-obligatoire vers la langue de Shakespeare sont donc particulièrement bienvenus. Et pour le dîner, nous n'avons qu'à traverser le palier pour passer de notre chambre à la salle à manger. Entre l'accueil, l'atmosphère et la nourriture, on recommande fortement !


mardi 24 avril 2018

Châteaux de la Loire, jour 2 (semaine 2) - Gizeux et Azay-le-Rideau

Après consultation du programme du jour et des brochures que nous avons récoltées hier, nous décidons de revenir sur nos pas et de faire un petit tour au château de Gizeux, absolument pas prévu à la base mais qui a l'air chou sur le papier (ne faisons pas durer le suspense, il l'est aussi en vrai). Après un petit trajet particulièrement bucolique en pleine campagne tourangelle, nous arrivons au château un bon quart d'heure avant l'ouverture officielle du domaine, ce qui nous fait craindre un instant d'être venus pour rien... Mais tout va mieux quand on se donne la peine de lire les panneaux, et une fois armés de nos billets d'entrée et de notre audioguide, nous pouvons commencer la visite.

Le salon François Ier de Gizeux

Gizeux n'est pas exactement le plus impressionnant des châteaux de la Loire à l'extérieur, mais dedans, c'est une autre histoire : entre les superbes peintures du salon François Ier, sauvées de la folie révolutionnaire après avoir été cachées derrière une protection en torchis, et la galerie des fresques, qui représente à même la pierre certains des plus grands châteaux de France (Chambord, Versailles, Fontainebleau, etc.), on en prend plein les mirettes. Le château n'est peut-être plus habité au quotidien, mais les salons de réception servent encore parfois à rassembler la famille des propriétaire, et ça se voit. L'ensemble réussit l'exploit d'être à la fois impressionnant et chaleureux. On est d'ailleurs à peu près sûrs d'avoir croisé la châtelaine, dont la voix nous a accompagnés tout au long de la visite avec l'audioguide... C'est mimi comme tout et on ne regrette pas les kilomètres supplémentaires.

Azay-le-Rideau

Après un bon peu de route et un quart d'heure perdu à chercher une place de parking (ils sont où, les 7 parkings de 600 places annoncés ?!), nous voici à Azay-le-Rideau, l'un des "grands" du Val de Loire, qui trône en bonne place parmi les châteaux dont on a entendu parler à l'école. Enfin, grand par le nom, surtout, car nous sommes surpris de constater que le château est plutôt petit (tout est relatif, évidemment). En revanche, c'est un petit joyau de légèreté qui fait vaguement penser à un château Disney, surtout avec ces miroirs d'eau tout autour. Comme l'an dernier, des plasticiens ont été invités à exposer leurs œuvres au premier étage du château, mais pour une fois, l'art moderne ne nous donne pas envie de hurler : les installations ont été pensées pour se fondre dans le décor, quelque part entre reconstitution Renaissance et Peau d'âne version Jacques Demy. L'esthétique est originale sans faire saigner les yeux, la mécanique est impressionnante, alors on ne se plaint pas.

Un banquet Renaissance vu par des artistes contemporains

L'intérieur est certes très sympa, mais Azay-le-Rideau vaut surtout pour son architecture extérieure, son petit parc à l'anglaise et ses douves, qui permettent de photographier le château littéralement sous toutes les coutures (et je ne m'en suis pas privée). On ne l'apprend pas à l'école, mais les miroirs d'eau qui canalisent l'Indre et font du château une presqu'île ont été ajoutés au 19è siècle par la famille Biencourt. Les Berthelot, qui ont fait sortir le château de terre au début du 16è siècle, sont partis en courant et en laissant tout en plan quand leur cousin, ministre des Finances sous François Ier, a été exécuté (décidément, ministre des Finances, dans ce pays, c'est un boulot à risque !). Le domaine n'a donc pour ainsi dire pas bougé pendant 300 ans, avant d'avoir finalement le look qu'on lui connaît. Le style Renaissance-19è, c'est nouveau, ça vient de sortir.


Visiter château sur château, c'est bien, mais quand on prend des photos à la chaîne et qu'on s'extasie sur les façades et la déco intérieure, on oublie trop souvent de se demander d'où vient toute cette pierre. Pour réparer cette erreur, direction la vallée troglodytique des Goupillières, à quelques minutes d'Azay-le-Rideau. On avait bien aperçu quelques garages ou "cabanes" de jardin creusées à même la roche depuis hier, mais là, c'est un autre niveau. Le tuffeau qui a servi à construire les 210 châteaux et 780 églises du Val de Loire (sans compter une poignée de maisons de maître) ne s'est pas extrait tout seul, et les paysans du coin se transformaient en carriers une fois les travaux de la ferme terminés. Certains trous creusés dans la roche ont fini par se transformer en habitation à la fin du 12è siècle. Le terme "misère noire" décrit assez bien les conditions de vie de ces pauvres gens, qui subissaient des taux d'humidité de 85 % (les poumons apprécient moyennement) et des températures moyennes de 13° toute l'année. La dernière famille est partie en 1905. Le Moyen Age aux portes du 20è siècle...

Le four de l'une des fermes troglodytiques

Défrichée à partir de 1984 et ouverte au public en 2000, la vallée des Goupillières permet de découvrir le côté pile du bling des châteaux de la Loire. Bon, l'endroit étant excessivement familial, on n'en fait pas non plus des caisses, mais la visite guidée très pédagogique et intéressante donne tout de même une bonne idée de la vie dans un troglodyte. Les enfants, qui prennent un berceau pour une niche à chien, ont du mal à s'en remettre... Mention spéciale au souterrain-refuge, le 53è répertorié dans la région, qui permettait aux habitants des neuf fermes de la vallée (on en visite trois aujourd'hui) de s'abriter des attaques de pillards, et qu'il faut se casser en deux pour découvrir. Pour égayer un peu l'ambiance, à mi-chemin entre Les Misérables et Germinal, on peut compter sur le grand soleil et les animaux, du cochon noir à la biquette aventureuse, en passant par le dindon pas content et l'ânesse placide. C'est aussi l'occasion d'apprendre que le troglodyte mignon est une vraie bestiole, catégorie plus petit oiseau d'Europe... et certainement aussi le plus chou. C'est la minute culture et c'est cadeau.


Nous n'avons pas loin à aller pour rejoindre notre hôtel, à un jet de flèche du château d'Azay-le-Rideau. Heureusement que nous avons fait les repérages de parking plus tôt dans la journée, car la situation ne s'est pas arrangée niveau stationnement... C'est le souci des villes restées dans leur jus d'époque : elles ne sont pas pensées pour les voitures !

lundi 23 avril 2018

Châteaux de la Loire, jour 1 (semaine 2) - Villandry et Langeais

Moins d'un an après notre première semaine d'exploration des châteaux de la Loire, nous voici de retour dans la région. A l'origine, nous avions prévu de passer quelques jours à Copenhague, mais des événements indépendants de notre volonté nous ont fait opter pour plus près. Nous reprenons donc notre tournée des châteaux précisément là où nous l'avons laissée l'an dernier, du côté de Villandry, à environ 2h15 de route de notre propre commune avec royal cabanon.

Le thermostat a eu la décence de baisser un peu après les 30° complètement absurdes de ces derniers jours, et c'est sous un soleil moins ravageur que nous attaquons ces vacances dont nous avions désespérément besoin. Arrivés à 11h30, nous apprenons que la visite guidée suivante commencera à midi, ce qui, selon la madame des billets à l'entrée, nous "laisse le temps de visiter le potager". 30 minutes pour un potager ? Mais il est grand comment, votre potager ?!


Réponse : très grand. En fait, les jardins de Villandry sont moins des jardins qu'une oeuvre d'art, et le potager en est la pièce maîtresse. Racheté en 1906 par la famille qui le possède toujours aujourd'hui, les Cravallo, le château a été rénové en tout juste deux ans, mais faire renaître les jardins Renaissance en a pris plus de 15. Le propriétaire de l'époque est allé faire ses recherches dans des monastères bénédictins et en a ramené des plans de potagers monacaux d'une précision millimétrique. Résultat : un potager taillé au cordeau où pas une feuille de laitue ne dépasse et qui satisfait profondément mon obsession pour l'ordre et la symétrie. Sans parler du soin apporté à l'harmonie de couleurs. A raison de deux plantations par an (une au printemps, une en été) et d'une rotation triennale, les 10 jardiniers qui bossent à temps plein sur le site ne doivent pas se tourner les pouces. Un régal pour les yeux, à défaut de pouvoir tester dans l'assiette (les visiteurs peuvent se servir dans les surplus, mais les pauvres fruits et légumes risquent de passer une mauvaise semaine dans le coffre de notre voiture).



La madame des billets fut mauvaise langue (ou nous avons été rapides), car nous avons le temps de faire un petit tour dans le labyrinthe (un peu facile, avec ses trous dans les haies) et dans le jardin des simples avant de rejoindre la visite. Bon, c'est un peu moins spectaculaire et coloré que le potager, mais la symétrie est à peu près aussi satisfaisante ! Côté architecture, Villandry est l'un des tout derniers exemples de château Renaissance de la région (il date de 1536, le jeunot), mais à l'intérieur, l'ameublement est furieusement Louis XV. Seule une chambre de style très très Empire rappelle que Jérôme Bonaparte, roi de Westphalie et frère de, a possédé le château pendant dix ans avant de devoir quitter la France en courant à la Restauration. La visite guidée est très intéressante, mais sans surprise, on en revient toujours aux jardins. A croire que le château n'est qu'un détail architectural au milieu de la verdure !


Cela dit, nous sommes plutôt d'accord, car entre la galerie de peintures de l'école espagnole (sombres, déprimantes et franchement glauques) et les formes douces aux couleurs vives du "jardin d'amour", nous avons fait notre choix. Les jardins d'agrément, la pièce d'eau centrale, le jardin du soleil et les 52 km de buis cumulés donnent envie de se poser sur un banc et de ne plus jamais en bouger... sauf pour prendre des photos jusqu'à saturation de la carte mémoire. Joachim Cravallo peut reposer en paix, son grand oeuvre est une franche réussite !

Changement total de décor à Langeais, à un petit quart d'heure de route : si Villandry est un château Renaissance tardive, Langeais est résolument médiéval et franchement écrasant. Les grands fenêtres et les fioritures, c'est bon pour toutes ces bâtisses du 16è siècle, mais en 1465, on en était encore au pont-levis et aux meurtrières. C'est que ces barbares de Bretons n'étaient pas très loin et que Louis XI voulait pouvoir se défendre au cas où il leur prendrait l'idée d'annexer le royaume de France. Sauf que l'annexion s'est finalement faite dans l'autre sens et sans avoir besoin d'entrer en guerre. Gast.


Le château de Langeais est resté dans son jus 15è siècle, avec tapisseries et meubles à rivets gros comme le poing dans toutes les pièces. C'est moins aéré que d'autres demeures du coin, mais au moins, la journée n'aura pas été monotone ! Ce qu'on retient surtout de la visite, c'est l'omniprésence de la fleur de lys de Charles VIII et de l'hermine d'Anne de Bretagne. On en trouve littéralement du sol au plafond, et pour cause : c'est à Langeais que fut célébré leur mariage le 6 décembre 1491, dans le plus grand secret. Il faut dire qu'Anne était mariée par procuration à Maximilien de Habsbourg, que Charles était fiancé à la fille dudit Maximilien, et que tout ça n'allait pas vraiment plaire au bonhomme, qui contrôlait mine de rien le plus grand empire d'Europe. Heureusement que le pape de l'époque, Alexandre VI Borgia, n'en était pas à une petite annulation de mariage près... Pour commémorer l'événement, des mannequins de cire nous rejouent la scène dans la salle du mariage. On retiendra que la Duchesse n'était pas grande et que le roi de France était très moche...


Après un petit tour par l'atelier "essayage de costumes" (c'est les vacances ou bien ?!), nous concluons par une balade dans le parc, relativement petit mais plutôt chou. Au milieu trônent les restes d'un donjon érigé en 994, ce qui en fait le plus vieux bout de château de France, avec un "vrai" échafaudage médiéval pour l'authenticité derrière. On assure la grimpette parce qu'on ne peut pas s'en empêcher, mais c'est quand même bon de se dire que les normes de sécurité du 21è siècle sont passées par là... Un  peu plus loin, catégorie "records bizarres", on trouve la plus grande cabane arboricole jamais construite dans un seul arbre. Ça reste pas bien grand, mais avec un toit en plus, on s'installerait bien !


Langeais est aussi notre étape du jour. Avec un château pareil, on n'a pas peur que les méchants Bretons (dont je suis, n'allez donc pas me jeter le premier menhir !) viennent nous attaquer pendant la nuit !

De la belle verdure pour commencer le séjour !